Les enfants du maïs

Stephen King. Ses monstres, à commencer par Ça dont la présence brûle dans le roman éponyme comme une flamme sombre. Ses personnages d'enfants, si fragiles et pourtant si forts. Sa nostalgie pour les Etats-Unis des années 50, à l'aube des jours de la vie moderne et au crépuscule d'un monde en train de disparaître. Voici un auteur que j'ai découvert d'une façon récente et dont l'écriture m'attire, encore et encore, malgré sa vision cauchemardesque d'un monde où l'être humain n'est souvent qu'une proie. Les enfants du maïs est une nouvelle dont j'ai appris l'existence il y a peu : elle m'a aussitôt intéressé, à tel point que me voici en train de la chroniquer.
Résumé : 
Burt et Vicky forment un couple mal assorti qui tente le road-trip de la dernière chance, vers les plages de la Californie, aussi loin que possible du divorce qui se préfigure... En ce chaud mois de juin 1976, au beau milieu du Nebraska, Burt renverse un enfant surgi des champs de maïs qui bordent la route sur ses deux côtés. Avec horreur, Vicky et lui découvrent que leur victime était de toute façon condamnée : quelqu'un venait tout juste de lui trancher la gorge au moment où ils l'ont écrasée. En cherchant un poste de police, Burt et Vicky découvrent Gatlin, une petite ville dont la population semble portée sur une expression religieuse intégriste voire fanatique. Or Gatlin semble par ailleurs tout à fait déserte - et surtout comme figée au beau milieu des années 60. Alors, pourquoi des rires d'enfants se font-ils entendre au coin des rues ?
Le tandem "Burt et Vicky", caricature de couple dysfonctionnel et névrosé, ne constitue pas - malgré les apparences - le personnage principal de cette histoire atroce. La moitié gauche (au volant de la voiture), c'est Burt, ancien militaire abîmé par la guerre du Vietnam, qui ne désire pas mettre fin à son mariage mais ne veut plus pour autant mettre d'eau dans son vin. La moitié droite (à la place dite "du mort"), c'est Vicky, véritable harpie abîmée par son enfance dans une famille à la religiosité rigoriste, et qui semble peu disposée à céder d'un pouce face à la figure masculine et patriarcale. Ainsi, leur sort est-il scellé dès le début de l'histoire : ils ne savent pas s'ils iront jusqu'au bout de leur voyage... mais ils ne peuvent imaginer de quelle façon celui-ci va se terminer.

Car les véritables personnages principaux de cette nouvelle, ce sont les enfants de Gatlin dont la présence est suggérée très tôt dans le texte, une présence qui se fait de plus en plus pesante jusqu'au moment où ils se manifestent en meute, armés de diverses façons - et tous investis de l'instinct du meurtrier. C'est qu'ici, tout se passe comme si les enfants de Ça s'étaient un jour prosternés devant le monstre, et s'étaient mis à lui rendre un culte : ainsi la créature de Gatlin se glisse-t-elle dans la coquille évidée d'un christianisme perverti, les enfants parricides l'ayant assimilée au Christ, bien que celui-ci n'ait jamais réclamé d'holocaustes.

Implacable dans sa construction tout en étant originale dans son traitement, Les enfants du maïs agit comme un très brillant contrepoint à Ça : ici aussi les enfants sont les victimes d'une aberration qui les dépasse... mais ils ont choisi une autre voie que celle de la révolte. Et de ce fait, la conclusion de l'histoire est aussi limpide qu'ignoble : le prêtre et dirigeant de Gatlin est un enfant de neuf ans, qui reçoit en rêve les édits de "celui qui marche derrière les sillons"... et qui révèle que le déplaisir du dieu cruel des "enfants du maïs" a un prix. Elevé, comme il se doit...

Post-scriptum : l'écriture de cette chronique m'a conduit à chercher, comme d'ordinaire, une image pour l'illustrer. Si j'ai décidé d'utiliser celle du recueil Night Shift (Danse Macabre) où figure cette nouvelle dont le titre original n'est autre que Children of the Corn, j'ai trouvé au cours de ma recherche une autre image. Il s'agit d'un fanart dessiné par Seyhan Argun, que je n'insérerai pas dans ma chronique par respect pour son auteur mais que je vous invite à découvrir sur son site internet...

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