El Nakom tome 1

J'ai déjà eu l'occasion de le dire par ailleurs mais l'Histoire est l'une de mes sources de fascination - et en particulier, celle de la Mésoamérique : ces "autres mondes" que l'Europe découvre à la fin du Moyen-Âge y ont importé un imaginaire foisonnant, fondé sur une pensée différente que les conquérants espagnols puis anglais ont tenté de faire s'éteindre. El Nakom est une saga en deux tomes signée par Jéronaton, qui aborde comme on va le constater un épisode peu connu du public général...
Résumé : 
En l'an 1511, des naufragés castillans touchent terre sans bien savoir où ils se trouvent... Gonzalo Guerrero entrevoit dans la jungle des ruines, celles d'une ville antique, au moment même où ses compagnons sont capturés par des indigènes à l'aspect farouche : plusieurs d'entre eux seront bientôt sacrifiés au sommet d'une pyramide à degrés ! Guerrero, bien décidé à ne pas devenir à son tour une victime sacrificielle, parvient à manigancer l'évasion des survivants... Quelques péripéties plus tard et capturés à nouveau, lui et un prêtre finissent aux mains d'un cacique maya qui, intrigué par cet homme barbu à la peau blanche, prend la décision de faire enseigner sa langue à Guerrero. Celui-ci ne le sait pas encore, mais c'est un premier pas vers une vie nouvelle : une vie où il devra préparer le peuple maya au conflit contre son propre peuple...
Toutes les histoires de la présence espagnole dans le Nouveau-Monde ne sont pas aussi négatives que les épopées de conquête bien connues de Cortès et de Pizarro, qui ont réussi à faire tomber des empires séculaires à la faveur des divisions politiques au sein des populations conquises mais aussi des croyances religieuses de celles-ci. Moins fins stratèges qu'ils n'étaient bons politiques et donc bons opportunistes, les deux grands chefs espagnols auraient pu périr à plusieurs reprises sur le champ de bataille ou même sous le couteau du sacrifice - et s'ils sont les fondateurs de l'empire colonial espagnol, ils ne le doivent en partie qu'à la chance. Gonzalo Guerrero n'est pas un conquistador : perdu au-delà des frontières de l'écoumène espagnol, il est un naufragé, devenu esclave puis favori royal et en fin de compte conseiller militaire.

Le pays maya où il finit par faire souche est une mosaïque de Cités-Etats qui n'ont pas perdu la mémoire d'un héritage commun, celui des grandes villes abandonnées plusieurs siècles plus tôt, et qui résistent tant bien que mal aux descendants d'un peuple guerrier, les Toltèques. Guerrero, en apportant avec lui des techniques de guerre européennes - l'utilisation de l'arbalète mais aussi la phalange équipée de sarisses - permet aux Mayas de faire la différence et gagne ainsi ses galons de Nakom, soit donc stratège. Mais son projet, formulé au fur et à mesure que le temps passe, va bien plus loin : il s'agit pour lui qui se considère à présent plus maya que castillan, de permettre au peuple qui l'accueille de conserver sa spécificité sans craindre les conquérants. De ce fait, Guerrero engendre la première génération de métis : la légende, au terme de ce premier volume, est donc prête à se répandre.

Cette histoire vraie ne pouvait être servie que d'un trait réaliste : Jéronaton prend donc soin d'habiller son intrigue de décors et d'expressions tout à fait crédibles. Sous ses pinceaux, le pays maya garde son pouvoir de fascination tout en se faisant accessible, et retranscrit donc bien l'émerveillement du personnage de Guerrero qui, à chaque instant ou presque de son épopée, découvre un monde nouveau, différent de ce qu'il connait - un monde appelé à le séduire et à le transformer. C'est donc un album très réussi, tant sur les fronts historique et narratif que sur le front graphique : bravo, et il faut à présent espérer que le deuxième tome tiendra les promesses du premier...

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