Conatus

L'Anthologie des Utopiales édition 2018 contient une nouvelle signée par Laurent Genefort, un auteur qu'il est toujours agréable de retrouver aussi bien en format court qu'en roman...
Résumé : 
Dans un futur pas trop lointain, l'irruption sur Terre d'espèces extraterrestres a mis à portée de l'être humain une forme d'immortalité physique limitée : les Entasis peuvent faire bourgeonner de nouveaux corps sur lesquels il suffit de greffer le système nerveux central d'un donneur mourant.  Jesper vient de subir une n-ième résurrection quand il apprend que Diorik, son frère jumeau qui refuse l'opération par conviction religieuse, est sur le point de mourir... et il manigance alors sa résurrection, au mépris des croyances de toute sa famille. Comment Diorik va-t-il réagir à son réveil ?
Le corps, sous-produit d'un partenariat en forme de symbiose extraterrestre : voici quel est l'argument de cette nouvelle assez courte et pourtant à la fois surprenante, profonde et dérangeante. Justifions ces trois adjectifs par ordre inverse :
  • Dérangeante : ce qui touche au corps organique est souvent dérangeant. Nous avons tous une relation particulière au corps, que celui-ci soit le nôtre ou celui de l'autre. Ici, la symbiose avec l'Entasi permet à l'autre de se faire corps : est-on encore soi-même quand on peut abandonner son corps vieilli ou endommagé pour en adopter un neuf ? Sans surprise, la chose ouvre une controverse éthique insoluble.
  • Profonde : c'est dans l'exploration de cette controverse que l'auteur parvient à en pointer le caractère pluridimensionnel, que ces dimensions soient légales, et mentionnées comme en passant, ou affectives, et dont la réalité se révèle elle-même à plusieurs niveaux.
  • Surprenante : le pied de nez final, tout à fait inattendu en ce qui me concerne, se révèle en lui-même surprenant bien sûr - mais la nouvelle interroge déjà dès son titre. Adopter un nouveau corps veut bel et bien dire conserver son système de valeurs intact dans le temps long : au fond, celui qui recherche pareille solution ne craint-il pas son propre destin ?
La forme choisie par Laurent Genefort pour développer cette histoire - celle de l'intrigue aux jumeaux dissemblables - lui est par conséquent tout à fait adaptée : il se pourrait bien qu'elle ait été la seule à même de renforcer le caractère dérangeant, profond et surprenant de ce récit où l'identité, plus que jamais, se trouve à la frontière entre l'organique, l'intellect... et le culturel. Bravo !

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