Chroniques de l'Inquisition tome 2

Il y a deux ans (déjà) je publiais sur ce blog mon retour de lecture du premier tome des Chroniques de l'Inquisition de S.P. Somtow. Un auteur découvert il y a sept ans (déjà) grâce à sa trilogie Timmy Valentine et qui s'est exprimé en SF à travers un très grand cycle de space-opera dont, pour diverses raisons, je n'ai pas terminé ma lecture avant ce matin. Le diptyque étant à présent au complet dans ma tête, il ne reste plus qu'à en assumer le compte-rendu...
Résumé : 
Jenjen, sur Essondras, est tisseuse de lumière - mais c'est aux ténèbres que la voue un Inquisiteur qu'elle rencontre alors qu'elle n'est encore qu'une enfant. Quittant son monde natal et l'homme qu'elle aime - un opérateur de nécrodrame, une forme de théâtre dont les acteurs sont des cadavres mécanisés - la voilà partie pour Varezhdur, le palais spatial de l'Inquisiteur Elloran qui la nomme au clan des tisseurs d'ombre. Comment assumer le destin qui lui est imposé alors qu'elle aime Essondras et la lumière plus qu'elle ne craint, peut-être, le pouvoir des Inquisiteurs ? A Varezhdur, elle trouvera pourtant certaines des réponses aux questions soulevées par l'art qu'on lui impose - et certaines se trouvent peut-être dans l'histoire contrariée de Ton Elloran lui-même. Aura-t-elle un rôle à jouer dans la révolution dont la rumeur se répand dans toute la Diaspora humaine ? Mais comment une révolution populaire saurait-elle faire trembler la tyrannie d'une Inquisition dont les pouvoirs sont illimités depuis vingt mille ans ?
Ce deuxième tome de l'édition intégrale des Chroniques de l'Inquisition s'articule autour de deux romans dont chacun mériterait sa propre lecture. Le premier - Les Chasseurs d'Utopies - nous donne à voir l'éclosion d'une tisseuse d'ombre au contact de la brillante cour d'Elloran, mais le propos réel est en réalité celui de la formation de l'Inquisiteur le plus proche de l'idéal de ce clan. A la surprise du lecteur, l'auteur choisit de présenter en premier lieu un Elloran adolescent, tout juste nommé Inquisiteur et pourtant sur le point de chasser sa première utopie. On y découvre un personnage plus fragile qu'il n'y paraît, assisté par son compagnon de toujours, le musicien Sajit qui n'est alors qu'un enfant-soldat : belle entrée en matière, qui pose d'emblée le décor d'un personnage aux pouvoirs presque divins et pourtant très humain - car Elloran cherche à respecter au mieux les préceptes de son clan, à savoir, la compassion qui doit guider les Inquisiteurs y compris dans leurs actes les plus cruels. Et cela fonctionne : Elloran souffre des crimes qu'il ordonne, et il tente alors d'éponger cette souffrance par l'art omniprésent dans son palais, de la musique de Sajit aux sculptures les plus précieuses. A son contact, Jenjen va finir par maîtriser le tissage d'ombre et concevoir son grand-oeuvre dont la chute annoncera celle de l'Inquisition.

Autant la première partie de ce livre était contemplative et mélancolique, la deuxième - Le Vent des Ténèbres - est bien plus tonique et cruelle mais pourtant teintée d'espoir. Kelver, qui a pris possession du Trône de Folie - à moins qu'il ne soit possédé par lui ! - retourne contre l'Inquisition ses propres armes et s'apprête à la mettre à bas. Le coup de makrugh final sera joué lors de la Tombeluit, c'est-à-dire, au moment où une étoile tombe dans le trou noir galactique sous le contrôle des machines de l'Inquisition afin d'en alimenter le réseau informatique - mais dans l'intervalle, tous avancent leurs pions. Face à Kelver, se dresse le champion de l'ordre établi, sous la forme d'Arryk, jadis son amant et désormais son ennemi, appartenant lui aussi à la dernière génération des Inquisiteurs. Entre eux se trouve Siriss, l'Inquisitrice aux yeux d'opale, venue elle aussi au pouvoir d'une façon récente, et partagée entre chacun des deux - qu'elle va trahir à tour de rôle. Dans la partie d'échecs cosmiques en cours vont se jouer les destins de la simple humanité, mais aussi ceux d'autres espèces pensantes - à commencer par les delphinoïdes dont la souffrance est le carburant du voyage spatial. En fin de compte, pour s'extraire de la stase malsaine, l'espèce humaine fera bien plus que secouer le joug de l'Inquisition : c'est la première fois depuis Hypérion que je lis une conclusion aussi cataclysmique et ouverte en même temps !

L'univers de l'Inquisition est de l'envergure des grandes épopées galactiques, et ses enjeux lui rendent bien honneur : c'est un combat pour l'âme de l'espèce humaine qui est en jeu ici, une guerre entre dieux et entre hommes, avec ses drames et ses moments de joie, ses pertes irremplaçables et ses succès. Avec l'effondrement de l'Inquisition, l'auteur nous offre un univers nouveau : la mère patrie du coeur chantée par Sajit se trouve-t-elle sur ce monde lointain où échouent les derniers naufragés de l'empire effondré ? Ce monde perdu dans les bras galactiques est-il bien la Terre des origines comme on pense le déceler ? Peu importent les réponses : pour le lecteur, l'histoire s'arrête quand l'auteur rend leur liberté à ses personnages - et à charge pour lui d'en tirer les conclusions qu'il souhaitera. Avec cette fin ouverte, Somtow signe une grande fin pour son grand-oeuvre : bravo !

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