Accelerando

J'aime bien l'oeuvre de Stross : le moins que l'on puisse dire, c'est que de son Cycle de la Laverie à son éblouissant Palimpseste, cet auteur sait nous régaler en tapant dans chaque sous-genre de notre chère SF - mais en glissant à chaque fois sa touche humoristique toute britannique. Ici, Stross nous revient avec un space-opera qui louche vers la Singularité... à moins que ce ne soit le contraire ?
Résumé : 
Dans les premières décennies du XXIème siècle, alors que la majeure partie de la puissance de calcul du système solaire sort encore des maternités mais qu'une part en augmentation de celle-ci sort des usines de microprocesseurs, Manfred Macx a tous les jours cinquante idées avant le petit déjeûner - soit donc presque autant de brevets déposés en open-source, pour libérer la créativité mais aussi favoriser l'émergence d'intelligences artificielles... Alors que les Etats commencent à crouler sous le poids de leurs dettes et le fardeau d'une population vieillissante, les objets intelligents deviennent partie intégrante du quotidien et le face à face commence entre les accelerationnistas et les conservationnistas - même si ces deux factions ne portent pas encore ce nom et sont en réalité dans les limbes d'une Démocratie 2.0 qui n'existe pas encore... L'oeuvre de Manfred puis du clan des Macx va bouleverser la nature du système solaire : pour de simples humains, est-il bien prudent d'aspirer à une intelligence post-Singularité ?
Soyons francs, Accelerando n'a au premier abord pas éveillé chez moi l'enthousiasme éprouvé à la lecture d'un Palimpseste. Plus (trop par moments ?) long, surchargé en références - il suffit de consulter le glossaire final ! - ce roman n'est pas d'abord facile. Et pourtant, malgré cela, il apparaît d'emblée comme l'une des oeuvres les plus puissantes de l'année. Il y a tout d'abord les fascinantes idées de l'auteur qui parvient à décrire avec dix ans d'avance (la publication originale remonte à 2005) les lunettes connectées dont de premiers modèles ont commencé à circuler ces dernières années, ainsi qu'à évoquer la montée en puissance des réseaux sociaux là encore plusieurs années avant leur explosion. C'est dans les premiers chapitres de ce livre, ceux qui sont les plus proches de nous dans le temps fictionnel, que le monde qui nous est décrit se trouve le plus reconnaissable et apparaît de ce fait comme presque visionnaire, l'évolution du nôtre s'orientant peut-être vers celui-ci.

Les chapitres suivants permettent un renouvellement fort bienvenu de l'intrigue, laquelle s'enliserait sinon dans les montages économico-politiques de Manfred. Avec le passage de relais à sa fille Amber, s'ouvre un space-opera bien caractérisé : grâce à une astuce d'ingénierie informatique, Amber et son équipage partent à l'exploration d'un artefact extraterrestre qui s'avère être un trou de ver, et donc la clé pour la conquête de l'Univers... mais aussi la première preuve selon laquelle l'intelligence croissante des machines et des consciences téléchargées dans des machines constitue un péril immense pour la vie - bien sûr - ainsi que pour elles-mêmes ! En toute logique, la fin du roman - qui nous montre lui un système solaire transformé en profondeur par la Singularité victorieuse - nous propose néanmoins une raison d'espérer : il existe une solution accessible aux intelligences limitées comme celles de l'être humain, pour leur éviter de se faire happer par une Singularité tout en accomplissant leur destin...

C'est dans cette partie finale que Stross parvient à toucher du doigt quelque chose de dunien. On le sait, l'univers de Frank Herbert se caractérise par l'absence de "machines pensantes" - et il est bien tentant d'interpréter le mythique Jihad Butlérien comme l'élimination, par une humanité rebelle, d'une Singularité dominatrice. Les préquelles à Dune ont dépeint cette élimination, à mon avis à tort, comme un conflit un peu trop semblable à celui de Terminator. Avec Accelerando, Stross parvient à proposer un conflit d'intelligences dont le monde matériel est l'enjeu pour des raisons bien plus satisfaisantes que celles évoquées dans les préquelles à Dune : si les intelligences artificielles de sa Singularité ont besoin de déstructurer le système solaire, c'est pour s'acheter plus d'espace-disque... C'est bel et bien la première fois que je lis une histoire de conflit entre êtres humains et machines qui me semble aussi proche de ce qui était, je pense, la véritable vision de Frank Herbert. Cela méritait bel et bien mon attention et, en fin de compte, mon enthousiasme : bravo !

Commentaires

MqlSz a dit…
J'aime beaucoup ta vision herbertienne d'Accelerando !