La colère de Tiamat

The Expanse : déjà la huitième itération d'une saga tentaculaire... Il y a un an, Le soulèvement de Persépolis redéfinissait en profondeur l'univers imaginé par James S. A. Corey : toute la question était maintenant de savoir comment l'auteur bicéphale allait s'y prendre pour accommoder tant de transformations...
Résumé : 
Laconia triomphe sur tous les fronts. Le système solaire où vit encore la majeure partie de l'humanité s'est rendu, la station Médina est désormais contrôlée par les officiers politiques laconiens... et James Holden lui-même est prisonnier, hôte malgré lui du Haut Consul Winston Duarte. Son vieil équipage est dispersé un peu partout au sein du tout jeune Empire laconien : Amos le mécanicien est porté disparu sur Laconia, Alex suit maintenant l'ancienne soldate martienne Bobbie et Naomi se cache dans des caissons de marchandises d'où elle essaie de coordonner la résistance. Le monde souterrain, constitué à partir des réflexes ceinturiens de l'APE mais aussi du désarroi des colons, a conscience de la supériorité de l'ennemi. Comment changer les règles du jeu ? Alors que les laconiens entreprennent des expériences dangereuses dans les "systèmes morts" que les concepteurs des portes ont jadis transformés en énigmes d'ingénierie, le temps presse peut-être pour les anciens du Rossi : une opportunité de secouer le joug pourrait se présenter bientôt... mais n'est-il pas trop tard pour agir, alors que les entités qui ont jadis purgé le réseau des portes semblent s'agacer de plus en plus de l'interférence humaine ?
Le premier problème soulevé par ce roman est assez nouveau dans la saga : comment faire tomber un empire à la puissance écrasante ?  Le second est plus ancien : comment s'adapter à la présence d'artefacts ou d'entités extraterrestres incompréhensibles ? L'enjeu de ce huitième volume est donc de concilier ces deux dimensions.

D'emblée, il apparaît au lecteur qu'il pourrait bien s'agir de liquider la phase "laconienne" de cette histoire : l'Empire de Duarte s'est imposé vite, mais ses fragilités internes semblent bel et bien létales à plus ou moins court terme. Le chef de l'Etat laconien, que je qualifiais déjà de gourou dans ma précédente chronique, est disposé à prendre des risques inédits pour faire avancer son propre schéma : c'est ainsi que son traitement de longévité semble avoir des effets secondaires de plus en plus marqués même s'ils ne se font pas tout de suite handicapants... mais aussi, et surtout, qu'il entreprend sans hésiter une véritable croisade contre les entités que l'utilisation du réseau de portes stellaires semble exaspérer. Duarte apparaît donc vite comme un pauvre type, qui joue avec des forces qui le dépassent par pur hybris parce qu'il est incapable d'imaginer quelles pourraient en être les conséquences. Ne prenant en compte aucun des avertissements - pourtant puissants ! - qui lui sont indirectement adressés, il ne fait que précipiter sa propre déchéance et donc déstabiliser tout l'édifice laconien qui repose sur lui. Au fond, les empires les plus durables sur Terre ne sont pas ceux qui se sont construits vite... mais plutôt ceux qui ont pris le temps d'asseoir leur base de pouvoir et qui l'ont diversifiée au-delà de la seule puissance militaire !

Dans cette narration qui pourrait constituer le premier volume d'une Histoire du déclin et de la chute de l'Empire laconien, les vieux héros de The Expanse ne sont pas absents. Recourant à un schéma déjà vu dans Les jeux de Némésis, les auteurs séparent leurs personnages bien-aimés afin de mieux montrer comment chacun concourt à la réalisation de l'objectif final. Holden est ici peu présent même s'il parvient - depuis sa position si inconfortable - à tirer quelques ficelles et à jouer son rôle dans la liquidation des ambitions de Duarte. Naomi endosse le rang de chef rebelle qui était jusqu'ici plutôt dévolu à son compagnon. Alex persiste à refuser les compromis d'une vie rangée, lui préférant l'aventure et le danger dans l'espace. Et Amos, plus que jamais, joue son numéro d'énigme ambulante. Autour des quatre anciens du Rossi, d'autres personnages viennent soutenir la narration : des anciens (tels que Bobbie, bien sûr, qui va pouvoir acquérir ici un rang légendaire... mais aussi l'infect Paolo Cortazar, prêt à tout pour développer à son propre avantage le traitement de longévité de Duarte) comme des nouveaux (dont Teresa, la fille de Duarte, promise à être sa doublure en cas d'accident). Leur variété donne un bon aperçu des différents fils d'intrigue et des difficultés qui affectent l'Empire laconien : il n'y a plus de normalité depuis la conquête, et cela promet de ne pas s'arranger. Le rassemblement final des anciens du Rossi est attendu, malgré quelques surprises : on le sait, les guerres asymétriques ne sont jamais gagnées par la seule force militaire. Naomi, en tant que Ceinturienne, en sait quelque chose et c'est pourquoi le lecteur se sent si vite confiant en ses capacités de briser les ambitions laconiennes puisqu'elle est tout à fait capable de saisir les opportunités offertes par les circonstances.

Si le sujet de ce roman est donc en grande partie la mise à mal du système laconien, la sortie (partielle ou totale ?) de Laconia du "jeu des trônes" interstellaire oriente l'ensemble de la saga vers sa conclusion : Leviathan Falls, dont le titre fait écho à celui du premier volume, est annoncé comme le dernier. La seconde dimension évoquée plus haut - celle de la place que peut trouver l'espèce humaine dans un écosystème universel dangereux - reste mal définie même si des éléments inquiétants laissent entendre au lecteur que, plus que jamais, l'humanité n'est au mieux qu'une proie - et au pire qu'un parasite - pour les entités qui ont éliminé les concepteurs du réseau de portes. L'édifice est jusqu'ici cohérent et assez solide : l'espèce humaine ayant assis dans la douleur sa propre stabilité, se pose maintenant la question de la relation qu'elle trouvera peut-être avec les puissances qu'elle a dérangées. Au vu des spectaculaires développements du présent volume, nul doute que la conclusion se fera sous forme d'un feu d'artifice...

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