L'Orphelin de Perdide tome 1 : Claudi

Il m'a déjà été donné de parler ici de Stefan Wul : de ses premières œuvres jusqu'au très étonnant Noô, cet auteur a très souvent su me convaincre et m'intriguer. Je garde en particulier une affection singulière pour L'orphelin de Perdide, un roman court de 1958 qui était appelé à être adapté trente ans plus tard en dessin animé par René Laloux sous le titre Les Maîtres du Temps... Au contraire de ce que j'ai cru au départ - quand j'ai découvert cette BD en librairie - ce projet ne s'inscrit pas dans la collection Les Univers de Stefan Wul dont j'ai eu l'occasion de parler par le passé : il faut croire que l'oeuvre de Wul est assez puissante pour nourrir toujours de nouveaux imaginaires... Qu'allait donc valoir cette adaptation d'un des romans les plus touchants de Stefan Wul ?
Résumé : 
Perdide est une planète infernale en été : les colons doivent s'y claquemurer dans leurs bunkers... mais Paul et Martha savent qu'ils vont pouvoir y faire fortune, et s'y sont installés avec leur fils Claudi malgré les conseils de prudence de leur ami Max. Et quand le contrebandier les quitte peu de temps avant que des vaisseaux de la police du système Gamma ne débarquent pour le capturer, ils se retrouvent tout seuls alors que l'été approche... Alors qu'une avarie de sa propulsion quantique force Max à faire une escale  technique sur Gamma 13 aussi connue sous le nom de Devil Ball, c'est avec horreur que Paul et Martha voient déferler sur leur ferme un essaim des redoutables frelons noirs de Perdide. Bientôt, Claudi se retrouve tout à fait seul : son unique lien avec le monde extérieur est un émetteur-récepteur à ondes subspaciennes dont Max possède l'autre exemplaire... Le contrebandier pourra-t-il payer à temps les réparations de son vaisseau ? Il devra compter sur l'aide de compagnons de rencontre - le vieux Silbad, expert de l'écosystème hostile où Claudi est perdu, et le couple de richissimes fuyards Martin et Belle - pour tenter un sauvetage désespéré : celui de l'orphelin de Perdide...
Adapter en BD L'orphelin de Perdide représentait une gageure : même si le média des Maîtres du Temps n'était pas le même, il s'agissait malgré tout de passer après les grands Moebius et Laloux qui avaient su donner à Perdide et aux autres lieux visités par l'intrigue de Wul un aspect étrange et menaçant, fournissant un écrin parfait pour cette histoire déchirante... Perdide se révélait, sous les pinceaux de Moebius, à la fois belle et terrifiante ; et si des années plus tard quand j'ai lu le roman de Wul j'ai pu constater que le scénario de Laloux avait en fait su le transcender, il fallait bien reconnaître que la plupart des éléments les plus marquants dans le dessin animé se trouvaient déjà dans le livre. Le fait est que ce roman n'a pas été adapté dans le cadre de la collection Les Univers de Stefan Wul sus-citée : si la chose m'a quelque peu étonné à l'époque, je me suis dit que cela provenait peut-être bien d'une absence d'envie - de la part des auteurs impliqués dans le projet - de chercher à défier l'oeuvre de Moebius et de Laloux. Régis Hautière et Adrián - le premier au stylo et le second aux pinceaux - ont relevé le gant : avant même d'avoir ouvert ce premier tome du diptyque, le geste en tant que tel m'a semblé mériter quelque considération, car il était osé !

La planète Perdide imaginée par Stefan Wul était riche mais hostile : c'était un monde qu'il n'était pas sage de chercher à coloniser sinon par tranches de millions d'hommes, comme le faisait savoir le personnage de Silbad, véritable baroudeur de l'espace, qui avait autrefois vécu sur ce monde infernal et y avait même laissé sa calotte crânienne... C'est ainsi que la BD fait savoir qu'au fil du temps, les tragédies telles que celle de Claudi se répètent sur Perdide et c'est peut-être la raison pour laquelle le vieil homme accepte de partir aux côtés de Max. La raison pour laquelle Martin et Belle se joignent à la quête est plus terre-à-terre : tous deux sont des fuyards en possession de biens mal acquis - mais là où Wul faisait de Matton un prince-banquier dont la caste avait été renversée par une révolution prolétarienne, Régis Hautière en fait un personnage plus menteur et plus minable encore, dont le destin fournira une conclusion pathétique à ses rêves de voleur dévoré par la peur et la paranoïa. Max lui-même est très réussi : on reconnaît bien la description que fait Wul de ce mulâtre aux cheveux bleus, au grand cœur et à l'audace démesurée. Quant à Claudi qui n'est autre que l'argument de cette histoire, il est aussi fragile et inconscient de sa situation qu'il le faut. Le scénario comme le dessin de cet album semblent donc d'une extrême solidité : le graphisme s'éloigne du chemin tracé par Moebius, le texte lui-même en revient à celui de Wul et le transforme quand c'est nécessaire. Ce n'est pas avec son père que Claudi fuit la ferme familiale mais bel et bien avec sa mère, laquelle est aussi l'ingénieure ayant conçu les émetteurs-récepteurs à ondes subspaciennes grâce auxquels Max va tenter de sauver l'enfant ; Silbad n'est pas un ami de longue date pour Max mais tout au plus un expert qui se laisse convaincre de participer à une mission risquée... En fait, les allusions à la précédente adaptation de l'oeuvre de Wul sont rares et prennent la forme de clins-d’œil à plusieurs niveaux... ainsi Max rencontre-t-il Martin dans un bar minable dont l'enseigne n'est autre que L'Incal !

Le défi auquel ont répondu les auteurs semble donc en passe d'être satisfait au terme de ce premier tome : il fallait faire du Wul en évitant les chemins tracés autrefois par Moebius et Laloux. C'est chose faite, avec talent : bravo... en attendant de lire la conclusion de cette histoire !

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