Alix Senator tome 10 : La forêt carnivore


Après avoir exploré Le dernier Troyen, space-opera imaginé par Valérie Mangin et dessiné par Thierry Démarez, le moment est venu de parler à nouveau d'Alix Senator !
Résumé : 
Alix est revenu en Gaule : marqué par les cruels événements survenus à Rome il y a peu, séparé de son fils Titus (parti en guerre avec Tibère) comme de son ami Enak (parti en Egypte pour enterrer les ossements de Khephren) et confronté au décès de sa chère Lidia, il prend la décision de renouer avec sa famille gauloise. En effet, son cousin Vanik est lui aussi père de famille à présent... et il est aussi le chef d'une province romaine : en tant que gallo-romain convaincu, il désire fonder sur le site ruiné d'Alésia - l'oppidum où Vercingétorix a connu autrefois son ultime défaite - rien de moins qu'une nouvelle cité à l'image de Rome elle-même ! La Gaule qu'Alix a connue jadis semble enfuie voire oubliée de tous - hormis des vétérans gaulois qui, au fond des forêts, font encore vivre les rites séculaires. Pour eux, Alésia et sa nécropole sont sacrées : Alix comprend vite que l'opposition entre Vanik et sa vieille amie Ollovia pourrait bien dégénérer en confrontation sanglante. Surtout lorsque des meurtres atroces commencent à frapper les soldats de Vanik... Alix va-t-il faire les frais des comptes mal soldés de la guerre des Gaules ?
Une fois n'est pas coutume, cette chronique va commencer par la fin : cet album d'Alix Senator est très bon, et c'est même l'un des meilleurs de la série jusqu'à présent.

L'enjeu de tout le projet Alix Senator était rien de moins que confronter le personnage intrépide d'Alix à son propre vieillissement, et à l'usure des institutions romaines auxquelles il a tant donné qu'il a fini par en devenir Sénateur. A la guerre civile puis à la dictature de César a succédé à terme le Principat d'Auguste : autour d'Alix, les amis et les alliés tirent peu à peu leur révérence, morts ou écrasés de chagrin - mais lui reste malgré tout. Dans sa tête, les souvenirs semblent brouillés, ce qui permet aux auteurs de pointer avec gentillesse quelques erreurs historiques de Jacques Martin, comme c'est le cas dans ce passage où Alix raconte à ses petits cousins une scène enneigée de la reddition d'Alésia - conforme à un passage du Sphinx d'or - mais où les enfants lui font remarquer que la victoire romaine a eu lieu en plein été ! Pourtant, le Sénateur n'est pas sénile et sa vivacité d'esprit reste la même quand il s'agit d'identifier le véritable ennemi au-delà des évidences toujours si tentantes : ainsi, la résolution du problème de l'album repose une fois de plus bel et bien sur lui seul. Son isolement - loin de ses partenaires habituels, Enak à l'autre bout du monde connu et Titus occupé à prendre du galon - lui permet donc bien de jouer son propre rôle... malgré ses cheveux blancs, malgré sa nostalgie et malgré même sa fatigue par moments évidente, Alix est toujours Alix et il n'hésite jamais à s'interposer - au risque de sa propre vie - pour protéger les innocents.

Si l'argument de cet album est très intéressant, son schéma ne l'est pas moins : il s'agit de montrer en quoi la greffe de la culture romaine sur le substrat gaulois ne s'est pas faite si vite qu'on pourrait l'imaginer de nos jours... En l'absence de révolte organisée après la chute d'Alésia, il est tentant de considérer que la conquête romaine par César a été suivie d'une assimilation sans heurts. A travers la vie à l'écart du monde voire anachorétique menée par les vétérans gaulois, les auteurs montrent ici qu'absence de révolte n'implique pas acceptation des faits politiques. La Gaule est devenue province romaine mais ses habitants vont posséder un double héritage pendant cinq siècles : ils sont désormais gaulois par la génétique et romains par la culture. Le personnage de Vanik illustre bien la position en apparence extrémiste qui a pu être celle d'une partie de la haute société gauloise, déterminée à épouser la culture conquérante et en fait à renoncer à la sienne propre. Le dialogue peu apaisé entre modernistes et conservateurs n'est pourtant pas le sujet de cette histoire : si la gallo-romanité voulue par Vanik va remodeler la Gaule en profondeur pour plusieurs siècles, les traditions défendues avec pacifisme par Ollovia ne seront guère oubliées avant la christianisation... et donc, le problème à résoudre provient de vieilles rancœurs ne demandant qu'à s'exprimer par la haine. Il n'y a donc pas de confrontation entre gallo-romains et gallo-conservateurs dans cette histoire... au contraire, puisque les deux camps veulent tous deux la paix !

Parachevant donc sa démonstration, cet album n'est pas sans donner l'impression qu'il formule une allégorie de nos temps contemporains. Alix, une fois de plus, montre aux lecteurs d'une époque troublée qu'un modus vivendi est toujours possible - et que les aberrations naissent quand on cesse de le chercher...

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