Time out

La bande-annonce de ce film, vue il y a quelques semaines, indiquait "par le réalisateur de Bienvenue à Gattaca" - lequel film j'avais beaucoup apprécié, quand je l'avais vu. Je n'aime guère les dystopies, à la base : vous le savez, je n'aime pas le glauque, et bien souvent les dystopies, le sont, glauques - voire même, je dirais qu'elles le recherchent. Bienvenue à Gattaca, c'était un peu une exception. Je me suis donc demandé si Andrew Niccol était capable de réaliser un coup double me concernant...
Résumé :
Bienvenue dans un futur proche où l'argent a disparu, remplacé par le temps. A la naissance, tout le monde reçoit la possibilité de vivre jusqu'à 25 ans, âge auquel votre apparence ne changera plus pour toute votre vie. Par contre, il ne vous reste dès lors plus qu'un an à vivre. Et si vous avez envie d'atteindre 25+1 en temps réel, mieux vaut garder à l'esprit que travailler ne suffit pas : chaque geste de la vie courante, y compris le plus anodin, vous coûtera quelques minutes ou quelques heures de votre vie... Dans ce monde, les plus riches disposent ainsi de milliers, voire de millions d'années au compteur qui égrène le temps restant à vivre au poignet de chacun. Les plus pauvres, eux, relégués dans un ghetto, ne savent pas le matin s'ils auront assez de temps devant eux pour vivre jusqu'au lendemain... Alors ils se battent contre le temps. Pour survivre. Will Salas, 25+3 ans, vit avec sa mère qui fête ses 25+25 ans. Alors que le coût de la vie augmente sans cesse, voilà que Will croise un homme riche déprimé, qui recherche la mort alors qu'il lui reste plus d'un siècle au compteur... Or, dans le ghetto, les Minutemen rôdent. A l'affût de victimes à qui voler leur temps, ils n'ont pas l'intention de laisser s'échapper un tel magot. N'écoutant que son bon coeur, Will sauve la victime en devenir. Lorsqu'il se réveille, c'est pour découvrir que son protégé a disparu - en lui laissant tout son temps et cette impérieuse consigne : ne gaspillez pas mon temps...
Time out, c'est d'abord une esthétique. Même si elle est moins caractérisée que dans Bienvenue à Gattaca, il est difficile de ne pas percevoir une parenté entre, dans les deux cas, ces visages trop beaux, trop lisses, trop propres du beau monde, par opposition aux "gueules" vieillies avant l'âge des membres du ghetto. C'est que cette nouvelle humanité, si elle a découvert comment vaincre - par la manipulation génétique, autre clin d'oeil à Bienvenue à Gattaca - le vieillissement cellulaire, n'a pas trouvé, ou jugé utile de trouver, comment éliminer le poids des soucis du quotidien... pour ceux qui en ont. Les riches, en effet, ont pour seul souci de veiller à ne pas prendre de risques et s'entourent de gardes du corps, y compris dans leur propre ghetto. Du coup, ils s'ennuient et jouent volontiers à des jeux où ils misent sans complexes cent ans de vie...

Time out, c'est aussi un concept. Le compteur vert fluo, tatoué au poignet de chacun, n'est pas qu'une jauge car c'est aussi un instrument de transfert de temps universel. Vous avez envie de vous acheter quelque chose ? Pas de problème, on vous le débitera du montant correspondant. Vous souhaitez donner ou récupérer du temps à quelqu'un ? C'est très facile, une simple poignée de main vous permettant le transfert dans les deux sens... Par contre, évitez de tomber à zéro. Parce que l'horloge centrale des Gardiens du Temps est impitoyable : si vous alignez treize zéros, votre tatouage vire au noir et vous êtes mort. Pareil si l'on vous tue, au passage - et votre temps de vie est alors perdu. Dans le ghetto, la sinistre loi est appuyée par un syndicat du crime organisé, celui des Minutemen, dont les hommes de main sembleraient presque avoir adopté le look d'Alex dans Orange mécanique - en plus noir, quand même... Les Minutemen, eux, relèvent les compteurs avec une belle régularité. Malheur à ceux qui ont trop de temps par rapport à leur extraction sociale : ils risquent de perdre leurs économies, voire de subir la mise à zéro de leur compteur s'ils déplaisent au parrain de la pègre - avec bien entendu les conséquences fatales qu'il convient. Univers anxiogène où il vaut mieux dissimuler son crédit, les Gardiens du Temps n'étant pas au service de la Justice mais bel et bien du capitalisme temporel.

La parabole est évidente et pourtant, il convient de le souligner : ce capitalisme temporel n'est autre que le nouvel habit du capitalisme financier qui aimerait bien nous faire croire qu'il est plus à même d'assurer le bonheur commun que les solutions étatiques. Dans ce futur, les marchands ont gagné, les Etats ont perdu : réduits à leur plus simple expression, c'est-à-dire le pouvoir régalien - et encore, au service de la surveillance du temps de vie de chacun ! - ils ont dans les faits disparu. La civilisation marchande, elle, triomphe du haut de la société vers le bas. Un ordre spirituel dirige une association de charité qui distribue un peu de temps au plus démunis, dans le ghetto. On peut emprunter du temps à la banque, à taux d'usure - plus de 30 % ! Dans le même temps, des millions d'années dorment dans les coffres-forts des riches. Il y a du temps pour tout le monde, mais pour que certains vivent sans fin, beaucoup doivent mourir avant l'heure. Un monde qu'en ce qui me concerne je trouve puant : j'espère bien qu'il n'adviendra jamais, ni de mon vivant, ni après...

C'est à ce titre que la dystopie, dans ce film, n'est pas glauque, et c'est pourquoi je l'ai beaucoup apprécié. Will et une alliée issue de la haute société vont entrer en croisade. Pourchassés, ils vont redistribuer le temps et faire sauter le système. Distribuer mille ans aux pauvres, cela ne suffit pas, surtout que les marchands n'ont qu'à augmenter le coût de la vie pour entretenir le déséquilibre en leur faveur : il faut aller beaucoup plus loin et redistribuer des millions d'années. Alors que la récompense pour capturer les deux jeunes Robins des Bois augmente sans cesse, les Gardiens du Temps sont sur les dents - même si certains commencent à s'interroger sur le bien-fondé du système dont ils sont les braves petits soldats...

Quelques défauts mineurs malgré tout, dans ce film : la conversion de Sylvia aux idées de Will est un peu rapide. Certains éléments ne sont pas assez développés - ce concept de Gardiens du Temps aurait gagné à être clarifié. Quant à l'instauration de cette société dystopique, on aurait aimé en savoir un peu plus. Mais il n'empêche que ce film est une belle réussite. Voir de la SF comme ça, on aimerait bien que ça soit plus fréquent. Bravo !

Commentaires

Gromovar a dit…
Je suis tenté mais faut que j'arrive à noyer les enfants pour avoir une soirée de libre.
Anudar a dit…
Sinon, il existe le Kidstoned chewable Valium, qui me semble très approprié pour ta situation tout en étant moins définitif : http://www.youtube.com/watch?v=G8fbHpttc5A
lael a dit…
il est sur ma liste :)
Vert a dit…
Moi j'essaye déjà de me trouver une soirée pour voir Bienvenue à Gattaca (le dvd attend trop longtemps sur mon étagère), on verra celui-là après ^^
Guillmot a dit…
Je vois mieux l'allusion au monde capitaliste actuel, intéressant en effet.
Anudar a dit…
@lael : n'hésite pas !

@Calenwen : ils sont indépendants.

@Guillaume44 : j'aimerais bien connaître ton avis sur ce film, en fait.