La Fille automate

Après plusieurs jours de silence, obligations professionnelles et fatigue intellectuelle obligent, reprenons le fil des lectures estivales avec cette Fille automate, premier roman d'un auteur qui s'annonce bel et bien comme un auteur à suivre...
Résumé :
Alors que les autres nations d'Asie du Sud-Est se sont effondrées dans la famine, la guerre civile et la montée des eaux en cette fin de XXIème siècle, le Royaume de Thaïlande représente un véritable îlot de prospérité qui nargue le pouvoir écrasant des firmes caloriques - celles qui fournissent au monde entier les semences stériles et immunisées contre les bactéries et les champignons qui ravagent la planète. Bangkok elle-même est l'un des merveilles de ce monde : entourée d'énormes digues, elle reste au sec bien qu'à présent sous le niveau de la mer. Cernée par l'océan et les contaminations déchaînées dans un univers incertain, la ville est le siège de tous les complots. Le ministère de l'Economie, désireux de promouvoir une nouvelle ère de croissance, fourbit ses armes contre celui de l'Environnement, dont la force paramilitaire - les "chemises blanches" - semble désormais corrompue et assoupie dans la mémoire de ses anciennes prouesses... Emiko est un membre du Nouveau Peuple, une fille automate contrainte par la génétique à obéir à ses maîtres. Abandonnée à Bangkok, elle vit dans la peur d'être éliminée par les chemises blanches... Alors que la Thaïlande semble sur le point de basculer, Emiko trouvera-t-elle un nouveau protecteur ? A moins que, la première de son peuple, elle ne révèle que la vie peut s'affranchir de n'importe quelle tutelle...
Il y a presque du post-apocalyptique dans cette chronique d'un futur peu enviable où le progrès, désormais, ne signifie plus "vivre mieux que les générations précédentes" mais bel et bien "ralentir l'échéance". Ralentir l'échéance : voilà quel est le leitmotiv de ce roman presque sinistre où le capitalisme, après avoir fait la preuve de son incapacité à gérer le monde, s'avère cette fois-ci incapable d'en maîtriser la déchéance. La vie naturelle n'existe pour ainsi dire plus : les pestes, végétales et animales, en sont les seules représentantes visibles, contre lesquelles les agronomes en sont réduits à produire, année après année, de nouvelles semences résistantes. Et stériles pour interdire aux paysans de re-semer le fruit de leurs récoltes, la libre-entreprise restant ce qu'elle est, à savoir un pouvoir à vocation égoïste et peut-être même totalisante. Il m'apparaît très révélateur que, dans cette histoire, le dépérissement du pouvoir des Etats, déjà bien amorcé devant celui des marchands à notre époque, soit désormais presque poussé à son terme, le royaume de Thaïlande - et peut-être la Finlande - représentant de véritables exceptions.

Il s'agit en réalité d'un univers où la vie naturelle - par essence non contrôlée - devient un véritable péril pour un mode de vie non plus prédateur mais bel et bien parasitique. Alors, on en poursuit la domestication jusque dans la génétique : les espèces domestiques n'ont plus rien de naturel. Aux chats se sont substitués les "cheschires", capables de se rendre invisibles. Aux éléphants, animaux de trait dans le Sud-Est asiatique, se sont substitués les mastodontes : leur labeur permet de remonter les ressorts moléculaires et donc de stocker de l'énergie, l'électricité tout comme les combustibles fossiles ayant pour ainsi dire disparu de la surface de la Terre. Vie naturelle crainte et pourtant recherchée : les transgénieurs ont besoin, pour faire face aux mutations des pestes qui menacent l'espèce humaine à très court terme, des innovations génétiques de quatre milliards d'années d'évolution. Et pour cela, il subsiste à certains endroits des ressources sans prix : les banques de semences naturelles que certains Etats avaient mis de côté avant que le monde ne commence à basculer.

C'est ici que se devine le pivot de ce livre. Le génie génétique, à lui seul, ne suffit pas à garantir la survie, et c'est là ce qu'a très bien compris l'étrange personnage de Gibbons/Gi Bu Sen. L'avenir est à l'évolution de l'espèce humaine si celle-ci souhaite pouvoir vivre dans le monde qu'elle a si bien modifié à sa convenance. La voie de la modification sans limites de la nature a été tentée par le passé par les Etats, puis par les firmes caloriques : c'est une voie sans issue dont le terme se rapproche de plus en plus. La solution ne réside plus dans des idéologies périmées - qu'elles soient capitaliste, nationaliste ou religieuse - mais bel et bien dans l'évolution. A lire ce livre, j'ai pensé à la nouvelle Semence de Frank Herbert, disponible dans le numéro 63 de la revue Bifrost. On y retrouve le même constat très amer d'un échec des modèles rassurants - et pourtant, quelque part, un espoir ténu.

Ne manquez pas les avis des compères Efelle, Gromovar et Guillaume44, que je lie les yeux fermés.

Commentaires

Guillaume44 a dit…
En effet belle lecture, la comparaison à la nouvelle d'Herbert me semble aussi s'imposer.
Anudar a dit…
Tiens, du coup je vais attirer l'attention du groupe dunien sur ce livre...
Endea a dit…
Un très bon livre, très prenant, un monde dans lequel je n'aimerais pas vivre dans tous les cas.
Anudar a dit…
Ah oui, ça, j'espère bien que nous ne vivrons pas là-dedans, ni demain ni jamais...