Ce qui est en Bas

Voici la suite de la célèbre série de space-op' de Moebius et Jodo dont j'ai déjà parlé ces derniers jours.
Résumé :
Contre toute attente, John Difool a survécu à la descente dans les contrées du Centre-Terre. Lui et ses compagnons ne sont pas longs à faire la connaissance d'Animah, la reine des rats, mère de Solune, l'enfant élevé par le Méta-Baron, et détentrice de l'Incal noir que John avait conquis de haute lutte sur les Technos. La domestication des psycho-rats, et l'évasion des filets de bave du clan de Gorgoo-le-Sale, cramoisi mutant du Centre-Terre, n'apparaissent que comme de simples péripéties : le petit groupe est en réalité constitué de sept fuyards pourchassés par la dernière incarnation du Prez, à présent cloné dans un corps mécanique à la puissance dévastatrice, la Nécro-Sonde... Le seul espoir de salut réside à l'intérieur du Coeur-Soleil, la porte dimensionnelle vers l'île aux pyramides, où sera révélé le secret des origines de Solune et où son destin va se jouer...
Presque la totalité des passages de cet album suivent l'épopée de John Difool et de son groupe de compagnons d'infortune bientôt scellé en amis pour la vie. Dans ce volet souterrain, le space-op' semble presque mis de côté à l'exception d'un passage très central, et chargé en contexte, où l'on fait la connaissance de nouveaux personnages qui, bien qu'importants, resteront secondaires par la suite dans le développement de l'intrigue. On y visitera la fameuse Planète d'Or, capitale de l'Empire, lieu de résidence habituel de l'Impéroratriz déjà rencontré par hologramme interposé dans l'épisode précédent. On y fera surtout la connaissance de factions pour le moment inconnues dans le jeu politique de cette humanité des temps futurs, à commencer par la nébuleuse troglosocialik à laquelle appartient le droit personnage du Kamar Raïmo : il est vrai que les planètes coloniales et leur idéologie marxisante jouent un rôle clé dans maintes oeuvres de Jodo rattachées à l'Incaliverse !

Ce passage, presque trop court, aurait tendance à laisser sur sa faim le lecteur de SF car bien vite, on en revient au périple claustrophobique de John Difool. Une véritable épopée chargée de symboles où chacun doit "trouver sa place" dans la serrure de la porte dimensionnelle. Sept compagnons qui réalisent une étoile à six branches, centre géométrique compris, avant de faire fusionner deux pyramides, une noire et une blanche, pour former un vaisseau spatial qui, vu de profil, réalise lui aussi une étoile à six branches. Je n'établirai ici aucune comparaison avec Bioman car il est évident que l'inspiration du scénariste est très différente : des anthropologues bien plus qualifiés que moi ont mis en évidence le fait que des représentations intellectuelles différentes peuvent parfois donner lieu à des expressions artistiques possédant une trompeuse ressemblance. La donnée mystique est cependant bel et bien omniprésente, avec cette succession d'épreuves presque sorties d'un conte de fées : les protagonistes doivent renoncer à toute forme d'animosité les uns envers les autres, puis ils doivent devenir le reflet dans un miroir magique, puis ils doivent enfin résister à la tentation de toucher les branches d'une forêt interdite. Se défaire de sa crainte envers l'autre, puis d'accepter son apparence - plus facile pour une Animah que pour un Kill-Tête-de-Chien, peut-être ? - et enfin abandonner les désirs proscrits, des étapes sur le chemin de l'illumination, qui se termine avec la transfiguration de Solune en androgyne noir/blanc, un destin qui était annoncé jusqu'en son étrange prénom (Soleil masculin, Lune féminine)...

L'album peut laisser un arrière-goût de bizarre et d'ailleurs, John Difool semble lui-même pas très satisfait de la tournure des choses sur la fin. Mais somme toute, avec les dernières images, l'intrigue promet d'en revenir au space-op' un peu plus débridé... Car oui, l'Incal est avant tout un space-op'. Et l'entr'acte mystique de cet album promet d'être un marchepied vers de nouveaux infinis...

Commentaires