Le dernier Troyen tome 1 - Le cheval de Troie

De Valérie Mangin, j'ai déjà eu l'occasion de parler ici au sujet de plusieurs séries BD. Venant de terminer les rétro-chroniques de son uchronie Luxley, il m'a semblé pertinent de parler cette fois-ci d'une série plus ancienne par laquelle j'ai découvert son univers des Chroniques de l'Antiquité galactique, à savoir : Le dernier Troyen !
Résumé : 
Cela fait dix ans que les rois grecs achéens assiègent la planète de Troie ! Retranchés dans leur ville troglodyte, les Troyens semblent inexpugnables... si bien que, le jour où la flotte achéenne disparaît, ils se mettent aussitôt à célébrer la victoire. Les Achéens ont abandonné en orbite un astéroïde en forme de cheval qui intrigue le stratège Enée : si Laocoon, le prêtre d'Apollon, désire détruire aussitôt l'étrange objet les autres Troyens retiennent plutôt le message porté par le grec Sinon qui se dissimulait à sa surface. Il prétend que les Achéens sont partis malgré le désir de leur protectrice Minerve... Désireux d'asseoir son avantage, le roi Priam envisage de s'approprier l'offrande achéenne pour gêner leur retour - et quand l'opposition de Laocoon lui vaut une punition divine, il semble bien que plus rien ne puisse s'opposer à l'entrée du cheval dans Troie. Enée, protégé par la déesse Vénus, est inquiet : cela fait des mois qu'elle ne répond plus à ses prières. Que se trame-t-il à l'intérieur du cheval des Achéens ?
En 1981, Ulysse 31 nous racontait une version space-opera de l'Odyssée d'Homère... et à partir de 2004, Le dernier Troyen se proposait de nous raconter quant à lui l'Enéide de Virgile. Aux racines de ces deux épopées, rien de moins que l'Iliade d'Homère et donc l'un des textes fondateurs de l'Antiquité gréco-romaine. Si le point de départ de l'Enéide est le même que celui de l'Odyssée - à savoir, la chute de Troie - la perspective n'en est pas la même. Au fil des siècles, s'agrègent ensemble des textes et des traditions qui finissent par constituer les deux grands cycles que sont l'Iliade et l'Odyssée : récits mythifiés d'un conflit qui a peut-être eu lieu, sans cesse réinterprétés par la tradition orale sur près d'un demi-millénaire avant d'être enfin fixés à l'écrit avant même l'âge classique de la Grèce. L'Enéide, si elle s'inscrit dans cette même tradition mythologique - modulo sa romanisation, bien sûr - est en revanche écrite d'emblée, par un auteur bien identifié qui agit sur commande. Octave-Auguste, véritable fondateur de l'Imperium romain, souhaite en effet asseoir la légitimité de Rome - dernière née des civilisations méditerranéennes - à contrôler d'autres peuples... et surtout d'autres cultures dont certaines étaient millénaires : la mission de Virgile consiste par conséquent à produire une grande épopée fondatrice pour élever la romanité au même rang que les prestigieuses cultures grecque et égyptiennes !

Dans les Chroniques de l'Antiquité galactique, Valérie Mangin postule que dans un futur lointain l'espèce humaine a trouvé les chemins de l'espace et qu'à terme apparaît un Etat centralisé - l'Orbis romain galactique, dont la chute était relatée dans Le Fléau des Dieux ; si la romanité finit par être contestée puis détruite, c'est qu'elle a dû au contraire s'imposer tôt ou tard... et ce sujet-là est l'objet de la présente série, où il s'agit de mettre en abyme la puissance romaine galactique à travers un récit des origines relevant de la fiction. C'est ainsi qu'un Virgile des temps futurs se fait le narrateur d'un récit assumé comme non historique : la commande impériale ne cherche pas à établir des faits mais bel et bien à imposer une croyance. Il s'agit de dire la vérité de Rome - et ceci doit passer par l'art officiel. Par conséquent, les interventions divines sont par avance justifiées puisque l'objectif réel de ce récit n'est autre que l'instauration de la Rome galactique... Les péripéties liées au cheval de Troie sont connues - que ce soit dans la version homérique ou dans celle de Virgile - et l'adaptation les transcrit ici dans le contexte spatial adopté par la scénariste. Il s'agit, dans tous les cas, d'une ruse de guerre et donc d'une défaite inattendue mais pourtant féconde pour les perdants. C'est ainsi qu'à Enée s'opposent le rusé Ulysse et le répugnant Pyrrhus, unis dans une alliance bien peu confortable et qui ne demande qu'à éclater. Dans le conflit dont se joue l'issue tragique, leurs mouvements seront appelés à nouer les fils du destin voulu et promis par les dieux.

Le dessin de Thierry Démarez - par ailleurs aux pinceaux d'Alix Senator - remplit bel et bien les fonctions qu'il fallait dans un space-opera aux accents d'Antiquité. Les costumes, les coiffures et les ornements sont d'inspiration antique toutes les fois qu'il le faut - le dessinateur se payant le luxe de munir Priam d'une barbe d'allure plus orientale que grecque, témoignant peut-être de ce que Troie se trouvait en Asie mineure  - et même les engins spatiaux comme les armes de guerre évoquent l'Antiquité. C'est peut-être dans la représentation des dieux que le dessin se fait moins convaincant : leurs corps de bronze, aux yeux sans iris, font penser à des statues alors que leur influence ne cesse de se faire sentir d'un bout à l'autre de l'album. Toutefois, les libertés prises lors de l'adaptation par ailleurs font mouche presque à chaque fois : de ces hoplites ailés qui forment la garde rapprochée d'Ulysse à la parenté manifeste entre Pyrrhus et un certain Rabban-la-Bête, il est clair que le dessinateur a pris soin de faire des choix sans lesquels cette histoire aurait perdu de sa cohérence interne et ses auteurs leur pari fou - celui de projeter certains épisodes de l'Enéide dans un futur spatial. Le lecteur reconnaissant leur pardonnera donc un ou deux traits d'humour hors-sujet dont le plus navrant n'est par chance pas le plus visible (disons que pour le découvrir, il faudra savoir lire l'alphabet grec... ce qui permettra ensuite de se demander qui au juste a trouvé drôle d'insérer pareille référence dans cette BD). Parce qu'au fond, le premier tome de Le dernier Troyen remplit toutes ses fonctions, et augure bien d'une suite passionnante...

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