Stranger Things saison 4

La saison 3 de Stranger Things a laissé dans ma mémoire un souvenir un peu ambivalent : aux éléments comiques parfois exagérés jusqu'au grotesque répondaient une horreur et une géopolitique assez caricaturales... Si j'étais heureux de retrouver la Bande et ses alliés, deux ans plus tard (déjà) je me rends compte que je n'écrirais peut-être pas une chronique aussi enthousiaste. Quoi qu'il en soit, la pandémie à coronavirus n'a pas interdit aux créateurs de cette série de produire la saison quatre : celle-ci a été diffusée selon un mode inattendu, soit donc en deux temps, les deux épisodes finaux étant d'une longueur inhabituelle...
Résumé : 
La Bande n'a pas éclaté, mais ses membres s'éloignent les uns des autres... Will et Eleven ont migré vers la Californie en compagnie de Joyce et de Jonathan ; Mike et Dustin font partie du Hellfire Club des joueurs de D&D du lycée d'Hawkins ; Lucas cherche plutôt à s'intégrer au club des joueurs de basket tout en voulant garder ses liens avec ses vieux amis dont Max : les intérêts comme les loyautés commencent à entrer en conflit, au moment même où une nouvelle horreur se fait jour dans la ville "maudite". Max est affligée de migraines atroces que les médicaments apaisent de moins en moins, et elle commence à faire des cauchemars terrifiants. Les événements se précipitent lorsqu'une élève du lycée meurt dans des circonstances ignobles au domicile d'Eddie, leader du Hellfire Club : pour les membres de la Bande présents sur place, et alors que d'autres victimes subissent le même sort, il apparaît que Max pourrait être visée elle aussi. Une force manipule en effet Hawkins depuis le Monde à l'Envers : qui est Vecna, le monstre humanoïde à l'origine de l'ouverture de nouveaux portails ? Quel est son lien avec Eleven toujours privée de ses pouvoirs ? Alors que Mike est parti pour la Californie et que Joyce reçoit un mystérieux paquet provenant d'Union Soviétique, les alliés d'Eleven pourront-ils l'aider face aux nouveaux périls qui s'annoncent ?
Stranger Things fait le choix de s'inscrire dans la culture et le contexte historique des années 80, ce qui implique un certain nombre de citations presque obligatoires. La précédente saison avait introduit l'ennemi soviétique, décrit comme cruel et sans scrupules - à l'image des outrances ridicules de Reagan - et c'est sans surprise qu'on le retrouve à l'identique ou presque, mais cette fois-ci sur ses terres : Joyce traverse en effet le détroit de Bering afin de retrouver Jim et de le sauver du goulag où il est retenu. Si tous les personnages soviétiques ne sont pas négatifs, la plupart sont hostiles et bon nombre d'entre eux sont grotesques de corruption ou de haine : pourtant, le voyage de Samantha Smith en URSS était alors assez récent pour avoir pu contribuer à une autre image du rival des Etats-Unis et surtout de sa population... Plus convaincante est toutefois la représentation de la "panique satanique" autour de D&D, organisée par des militants fondamentalistes : certains épisodes au cours de cette saison montrent bien que les rumeurs délirantes n'ont pas attendu les réseaux sociaux pour se propager à la vitesse de la lumière, et retournent même l'accusation de danger de passage à l'acte en faisant voir comment certains sont prêts - par vengeance - à organiser une chasse à l'homme et un lynchage. C'est à travers cette dimension que la saison 4 de Stranger Things parvient à s'insérer aussi bien dans les années 80 que dans notre époque actuelle, frappée elle-même de paniques morales aux conséquences parfois lourdes. La noirceur de cette saison en est par conséquent renforcée avec puissance, faisant ainsi un peu oublier les cabotinages de la précédente.

Stranger Things est aussi, au fil des saisons, un récit du passage à l'âge adulte. Les pré-adolescents de la Bande, au cours de la saison 1, étaient liés par une amitié qu'ils pensaient immortelle : la saison 2 semblait confirmer ce schéma mais la troisième révélait que tout le monde ne grandissait pas de la même façon, et que ce différentiel pouvait entraîner des tensions. La fin quelque peu lacrymale de la précédente saison montrait que chacun, à son niveau, parvenait à s'en rendre compte - mais il restait à en tirer les conséquences. Will, qui semblait peut-être coincé dans l'enfance dans la saison 3 fait ici preuve d'une profonde maturité, parvenant à sublimer ses sentiments pour Mike au moment où son ami a le plus besoin de sa présence - et alors même qu'il sait ne pas être aimé en retour. Eleven quant à elle découvre qu'elle peut, et doit, prendre de la distance avec Mike pour mieux le retrouver. Ces deux personnages, qui sont peut-être les plus torturés de la série même si c'est pour des raisons bien différentes, sont sans surprise ceux qui grandissent - ou ont grandi - de façon décisive depuis la précédente itération. Les trois derniers membres de la Bande initiale apparaissent maintenant presque moins mûrs qu'on aurait pu l'espérer, piégés dans leurs loyautés contradictoires et le regard de leurs pairs : Lucas espère devenir "cool" et reconquérir Max ; Dustin et Mike ont trouvé le Hellfire Club où passer le temps tout en rêvant à leurs copines éloignées par la distance... Max en revanche, frappée par plusieurs traumatismes, va permettre de montrer comment s'opère cette transition vécue par Eleven et Will mais encore à venir pour les autres : menacée par l'imminence d'un destin funeste, l'adolescente va grandir à vitesse accélérée sous les yeux du spectateur.

Menant de front pas moins de quatre fils d'intrigue ainsi que le révèle l'un des posters officiels, cette saison diversifie les occasions de faire face à l'horreur. Le road-movie entrepris par Mike et Will en compagnie de Jonathan est somme toute la plus bénigne des confrontations au cauchemar puisque celui-ci se résume à quelques fusillades. Moins anodin, bien sûr, sera le sauvetage en terrain hostile dirigé par Joyce : aux armes de guerre s'ajoute en effet la présence de monstres tout droit sortis de la première et de la deuxième saisons. Plus angoissant sera le réapprentissage de ses pouvoirs par Eleven, puisqu'il est l'occasion pour elle de redécouvrir son propre passé ainsi que l'étendue de sa responsabilité dans les événements qui frappent Hawkins. Le pire sera toutefois réservé à ceux qui sont restés dans l'Indiana : ils auront à s'opposer, à leur faible et pourtant décisif niveau, à Vecna et à ses pouvoirs monstrueux qui dépassent peut-être ceux d'Eleven. Stranger Things a peu à peu brossé une cosmogonie étonnante, où à notre monde correspond une dimension parallèle  - obscure et toxique - nommée par les personnages "le monde à l'envers". Ce monde a-t-il toujours existé ? A-t-il toujours été aussi hostile ? Cette saison au temps fictionnel plus long qu'à l'accoutumée permet de fouiller un peu plus toutes ces questions, plus cruciales à chaque fois puisque la frontière entre les deux dimensions se fait plus poreuse. L'ennemi de la première saison était un prédateur solitaire, celui des deux suivantes était un "esprit de la ruche", mais qui au juste est celui de la quatrième ? Le moment est venu pour les scénaristes qui abattent leur jeu et révèlent la vraie nature du "Flagelleur Mental" comme de la vie répugnante qui prolifère de l'autre côté de la réalité : comme les images d'apocalypse de la fin de la saison le montrent, l'horreur de Stranger Things a fini de s'infiltrer petit à petit dans la réalité confortable des personnages pour s'y imposer de façon peut-être décisive.

Malgré quelques longueurs, Stranger Things marche toujours aussi bien dans cette quatrième saison qui parvient à en redéfinir les enjeux avec intelligence tout en respectant ce qui en fait la spécificité. Cela fonctionne si bien que l'on en vient à craindre que la prochaine saison, qui devrait conclure la série, le fasse à un prix trop élevé pour que la Bande puisse profiter tout à fait de la maturité ainsi acquise...

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