Ymir - Rich Larson

Je n'ai que peu lu Rich Larson jusqu'ici. Son roman Ymir est son premier texte long traduit en français : l'occasion d'une rencontre décisive, peut-être ?
Résumé : 
Yorick est un agent de la compagnie, au titre de chasseur de grendels sur les différents mondes que ses employeurs exploitent. Muni d’armes et d’accessoires informatiques avancés, il a l’expertise nécessaire à l’élimination de ces machines intelligentes - jadis créées par une civilisation extraterrestre à présent éteinte - qui s’en prennent aux lucratives activités de la compagnie. Le dernier signalement en date le ramène contre sa volonté sur Ymir, un enfer de glace autrefois pacifié par la compagnie, et qui n’est autre que son monde natal où il aurait voulu ne plus jamais remettre les pieds... Car, outre une membre de haut rang de la compagnie qui l’a autrefois recruté, sur Ymir se trouvent encore son frère et un passé assez lourd pour qu’on lui fournisse une fausse identité. Que va-t-il trouver au fond des mines où se cache le grendel ? Et que cherche-t-il en réalité : la paix avec son frère et le peuple qui l’a rejeté pour plusieurs raisons... ou bien avec lui-même ?
Ymir est le nom du premier être vivant selon la mythologie nordique : un géant malfaisant, qui aurait été tué puis démembré par Odin afin de créer le monde. Selon Rich Larson, c’est une planète hostile – peut-être quelque contrepoint glacé d’Arrakis - au ciel dépourvu d’étoiles et qui a connu deux vagues de colonisation. La première, presque artisanale, y a implanté ce qui s’approche au plus près d’une population autochtone : ses descendants connaissent les façons qui leur permettent de survivre en surface malgré les conditions environnementales désastreuses, et en tirent une certaine fierté confinant parfois à la xénophobie. A leur culture s’oppose donc celle de la seconde vague de colonisation : disposant d’une haute technologie - des interfaces informatiques portables jusqu’aux modifications génétiques en passant par des drones policiers - la compagnie propose à ceux qui la suivent de rendre la vie plus facile sur Ymir, au prix de l’obéissance à ses algorithmes... C’est ainsi que ce monde hostile prend vie sous les yeux du lecteur, un peu comme l’Ymir des légendes nordiques venait se former à mi-distance entre le feu et la glace. Et c’est ainsi que le personnage principal de cette histoire se retrouve assailli de part et d’autre : d’un côté par la cruauté même du monde - dispensée de façon égalitaire : le froid tue sans discrimination - et de l’autre la cruauté humaine - laquelle cible volontiers la différence, qu’elle soit génétique ou idéologique, et ne répugne en tout cas jamais à manier le mensonge ou les demi-vérités.

L’arrière-plan science-fictif de ce livre est riche. La présence de vestiges extraterrestres, pas tout à fait compris et en tout cas non maîtrisés, n'est pas sans faire penser aux idées de Richard Morgan dans Carbone modifié : ils ancrent l'espèce humaine dans une réalité où elle ne peut plus nier désormais son absence de singularité, puisque l'intelligence biologique préexiste à son apparition, et où elle ne peut plus non plus s'épargner de réfléchir à sa propre évolution puisque ses prédécesseurs quelles qu'aient été leurs formes ont à présent disparu. La Terre n'étant plus qu'un souvenir, l'espèce humaine est contrainte à la dispersion et à une évolution en suivant peut-être le chemin tracé par ses prédécesseurs : encapsulation de l'esprit dans des machines... ou même transition post-physique. La compagnie, qui reproduit de façon exacerbée des schémas que le lecteur n'aura aucune difficulté à reconnaître, se révèle bientôt comme un véritable frein à cette évolution. Les grendels, dont la nature est mal comprise tant de la compagnie que des autres factions humaines, sont dérangés comme le monstre de Beowulf par le bruit - soit donc, par l'exploitation des mondes où ils ont été installés. L'ont-ils été en tant que gardiens de tombeaux extraterrestres ? Sont-ils plus, et si oui, que sont-ils ?

Si ces énigmes seront résolues par Ymir, le vrai propos de ce roman est humain car il s'agit d'une histoire de rivalité entre frères et entre cultures. Yorick et son frère Thello ont été tous deux marqués - par la génétique, par leur éducation dysfonctionnelle, par les amitiés ambiguës et au fond par leur époque terrifiante. Ymir peut se connecter au fonds cyberpunk, où l'individu peut avoir l'illusion d'être tout alors qu'il n'est rien : chacun des deux frères, en essayant de prendre le contrôle de sa vie, se rend compte qu'il le perd bel et bien. La présence de la compagnie et ses exigences ne laissent en effet que deux options : celle de la soumission d'abord, pavé de mensonges et dont les stations constituent autant de compromissions ; et celle de la résistance ensuite, où les périls pèsent moins sur l'âme que sur l'existence elle-même, sans aucune garantie de succès. Dans le récit de cette rivalité, chacun des deux frères va suivre l'un de ces deux chemins, sans aucune garantie que leurs destins se croisent à nouveau - ou alors, avec la certitude qu'ils seront dans deux camps différents. Face à l'influence tentaculaire de la compagnie et de sa pernicieuse administratrice, les machinations des pièces mineures de l'échiquier sont en effet le plus souvent dérisoires, surtout lorsque ce qui est en jeu c'est en réalité l'émancipation d'Ymir et de ses peuples.

Si les mythes anciens racontent volontiers des histoires de dieux - parfois teintées d'évhémérisme - ils parlent avant tout d'humanité : c'est ce que fait au fond Rich Larson dans Ymir, où la SF et Beowulf servent d'arguments à un récit de rivalité mais aussi de rédemption...

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