Bifrost numéro 108

Le dernier numéro en date de Bifrost est consacré à Octavia E. Butler, que je n'ai encore jamais lue... Au menu de ce numéro 108 :
  • Dans la rubrique Interstyles, pas moins de quatre nouvelles.
    • Peter Watts avec Collatéral : Becker est une soldate cyborg, engagée dans une opération qui a très mal tourné puisque ses augmentations technologiques ont ciblé "sans raison apparente" un groupe de civils. Pour ses supérieurs, il s'agit de gérer les retombées médiatiques du problème... alors que pour elle, il s'agit de comprendre et d'accepter ce qu'il s'est passé. Les deux besoins pourraient être satisfaits grâce à l'aide d'une personnalité inattendue... Un futur dangereux où l'humanité vacille de ne pas trop savoir si ses outils augmentent son efficacité sans conséquences. Les interrogations de la soldate et son évolution au cours du récit sont d'une logique aussi implacable que glaçante. Sa déshumanisation progressive - de plus en plus évidente au fil du texte - a des conséquences que le lecteur comprend inévitables depuis sa scène primitive. Bravo !
    • Nicolas Martin avec Un soir d'orage : Enzo est affligé de troubles épileptiques. Un soir, un orage vient frapper sa ville : un orage pas comme les autres, qui déclenche une crise plus effrayante que les précédentes... et qui semble altérer la conscience des autres habitants de l'agglomération, mais aussi affecter le fonctionnement des machines domestiques. Saura-t-il comment agir et admettre ce qu'il se passe ? L'ami Gromovar nous parle ici de cette nouvelle d'horreur : il en décrit bien mieux que je ne saurais le faire la narration cinématographique. L'argument science-fictif - celui d'un événement cosmologique inédit, lié à une tempête de neutrinos, qui troublerait à la fois le fonctionnement des composants électroniques mais aussi l'électrochimie du cerveau - s'avère tout à fait intéressant. La conclusion, sur une transition horaire, peut s'interpréter aussi bien comme un retour à une situation "plus" normale... que comme le premier instant d'une normalité différente. En littérature, parfois, l'horreur se niche non dans ce qui est évident mais plutôt dans ce qui est ambigu...
    • Rich Larson avec Glace : deux frères, Sedgewick et Fletcher. Le deuxième, plus jeune, bénéficie des améliorations génétiques recommandées sur la planète coloniale Néo-Groenland où leur famille s'est installée... le premier, lui, est non-modé. Ils vont tous deux s'éclipser pour aller observer les baleines de glace en surface - là où le froid est dangereux, et où la résistance physique fait la différence entre la mort et la vie... L'ami FeydRautha nous parle ici de ce planet-opera dont il rapporte que l'auteur le décrit comme le "père spirituel" de son roman Ymir. On y retrouve en effet la rivalité entre deux frères - même si celle-ci est sous-tendue par la génétique plutôt que par l'histoire personnelle - ainsi que le conflit avec un environnement dangereux. La conclusion, plutôt amère, n'est pas sans délivrer une leçon moins positive que celle d'Ymir.
    • Octavia E. Butler elle-même avec Enfants de sang : dans la Réserve, Gan s'apprête à vivre sa dernière nuit d'enfant. T'Gatoi, qui fait partie de leur famille bien qu'elle soit extraterrestre, vient leur offrir des oeufs stériles - ceux qui apportent le bien-être et prolongent la vie. Lien, la mère de Gan, sait ce que la nuit réserve à son fils - mais lui ne le sait pas encore, et il va le découvrir de la pire des façons... Voici un texte écrit d'une main on ne peut plus sûre. Les indices, présents dès le début de l'histoire, s'accumulent et préfigurent l'horreur qui s'annonce. Bien qu'assez court, ce récit parvient à questionner avec efficacité la position humaine dans un système où son existence implique des sacrifices monstrueux - sans négliger pour autant le péril qui pèse sur le partenaire supérieur dans une relation de domination, toujours à la merci d'une rébellion. Là où l'horreur extraterrestre dans un Alien s'exprime par la surprise et l'excès, ici elle le fait d'une façon borgésienne et s'avère d'autant plus redoutable... Bravo !
  • Dans la rubrique Carnets de bord :
    • Le cahier critique d'une quarantaine de pages, incluant une nouveauté, à savoir un point signé Philippe Boulier sur les anthologies du moment.
    • Le cahier consacré à Octavia E. Butler. Outre l'inévitable bibliographie - toujours utile pour qui veut découvrir une plume jusqu'ici inconnue - on retiendra la biographie, l'interview traduite depuis Locus et l'entretien avec Marion Mazauric (éditrice de Butler au Diable Vauvert).
    • L'article de scientifiction comme souvent (toujours ?) signé Roland Lehoucq, lequel nous propose ici de visiter le milieu interstellaire.
    • Sans oublier, pour conclure, les quelques actualités toujours intéressantes à suivre (sinon pour les paresseux, au moins pour ceux qui apprécient le travail fait pour la mémoire...).
Cette livraison est donc plutôt satisfaisante. On devrait reparler d'Octavia E. Butler bientôt sur ce blog, au passage.

Commentaires

OmbreBones a dit…
Il a fini par arriver donc je devrais le lire bientôt ! J'aime toujours bien découvrir les nouvelles puis ce sera l'occasion de m'essayer à Octavia E. Butler...
Anudar a dit…
J'étais dans la même situation que toi, je n'avais jamais lu de nouvelle d'elle. J'ai trouvé celle-ci très bien fichue et inquiétante. En ce moment je suis sur "Aube".