Le démon de maître Prosper - K. J. Parker
J'ai lu ce roman court pour le compte de la revue Bifrost. Un an plus tard, le moment est venu pour la chronique de paraître sur mon blog.
Résumé :
Les démons sont immatériels, mais les torts qu’ils causent à l’espèce humaine sont tout à fait concrets… C’est pourquoi certains humains les chassent de l’intérieur des corps où ils ont élu domicile : processus pénible pour le parasite comme pour l’hôte, mais qui occasionne une certaine satisfaction sadique aux chasseurs en question. Leur don tient de la malédiction, pour eux-mêmes comme pour leurs proches… mais aussi et surtout pour ceux qu’ils sont censés aider ! Alors, quand un démon élit domicile à l’intérieur d’un individu assez brillant pour que tout chasseur puisse hésiter à faire le nécessaire pour l’en expulser – ce qui pourrait avoir des conséquences négatives pour pas mal de gens – c’est qu’une machination des plus perverses est à l’œuvre...
Soit un monde alternatif où l’être humain doit coexister avec des êtres immatériels que, faute d’un meilleur terme, on qualifie de démons : une écologie étonnante, qui n’est pas sans faire penser à celle esquissée par Maupassant dans Le Horla, où l’être humain doit subir la présence de parasites capables de lui imposer gestes et pensées – ainsi qu’au passage, un certain nombre de désagréments physiques et psychologiques mais surtout pénibles voire insupportables. Par chance (ou non, comme l’anti-héros de cette histoire le signifie assez vite) leur activité peut être régulée par certains êtres humains, qui se décrivent eux-mêmes comme des prédateurs. Les démons sont éternels, mais craignent la souffrance, alors que leurs chasseurs sont mortels mais peuvent les faire souffrir : voici donc l’argument plutôt simple de ce roman court… mais comme on va le voir, le schéma qui en est tiré le dépasse avec pas mal de talent.
Le répertoire traditionnel des contes dits « de fées » inclut un thème assez fréquent : qui est susceptible d’être plus rusé qu’un démon ? Selon les contes, n’importe qui ou presque peut l’être… mais le lecteur le sait, il faudrait en quelque sorte se montrer plus démoniaque encore que le démon lui-même pour y arriver ! Conclure un pacte avec un démon même en sachant pouvoir le duper, c’est mettre en jeu son âme – or ce qui en tient lieu, dans le contexte de cette histoire, c’est la fonction sociale que joue l’individu… et si le chasseur est humain de façon intrinsèque – par la biologie, par son rôle et même d’une certaine façon par goût – il devra pour une fois s’entretenir avec sa proie. Dans ces conditions, qui va trouver avantage au pacte démoniaque ? Le démon lui-même ? Son prédateur ? Ou l’hôte parasité ? La conclusion cruelle, mais pourtant hilarante, permet d’appuyer ce que les concepts du texte suggéraient dès le départ : le prédateur n’est plus tout à fait humain, et si sa loyauté va en apparence vers l’hôte, c’est le parasite qui lui est nécessaire pour accomplir sa propre fonction écologique…
Le démon de maître Prosper n’est donc, malgré certaines apparences, pas un « conte de fées » : ce qu’il s’y noue, ce n’est pas l’opportunité de vivre heureux longtemps et d’avoir beaucoup d’enfants… mais bel et bien d’entretenir un réseau de relations écologiques, avec tout son lot d’atrocités. Bravo !

Commentaires