Transitions - Ann Leckie
J'ai lu ce roman assez court pour le compte de la revue Bifrost. Un an plus tard, le moment est venu pour cette chronique d'apparaître sur mon blog...
Résumé :
Enae n’héritera pas de sa Grand-Mère : à la surprise de toute la famille, l’aïeule a vendu sa demeure et même son nom en viager. La parvenue qui désormais portera le nom d’Athtur ne va cependant pas mettre Enae à la porte comme la loi l’y autoriserait : à la place, lui est offerte une opportunité rare de voyager aux frais des services diplomatiques, en contrepartie d’une mission que personne ne s’attend à voir un jour accomplie mais dont la ligne de crédit est réelle et très approvisionnée… Pourtant, Enae va s’impliquer avec sérieux dans cette mission… qui va l’amener beaucoup plus loin qu’on n’aurait cru le soupçonner.
Ainsi que l’annonce le bandeau rouge qui vient avec ce livre, Ann Leckie en revient à l’univers du Radch. Toutefois, que le lecteur qui serait peu familier de cette saga se rassure : le présent titre est assez indépendant pour être accessible aux néophytes.
Une transition, c’est un changement d’état : le pluriel dans le titre du roman peut donc s’apparenter à une prédiction, à savoir que son histoire sera faite de changements d’état de natures et aux conséquences variées. La SF pensant les situations et la différence, on pourra même penser suite à la lecture que cette prédiction possède valeur de manifeste. Transitions, c’est donc d’abord un futur où coexistent – ou s’opposent – des cultures distinctes au sein d’un environnement culturel global assez similaire au nôtre : des groupes humains en dominent d’autres, ce qui donne lieu à une conflictualité plus ou moins larvée… mais tout le monde apprécie les petits gâteaux accompagnés de café, de la même façon que tout le monde est susceptible d’apprécier une série (deux personnages majeurs étant fans invétérés d’un space-opera !). Passer d’une culture à l’autre y est donc assez facile et indolore, d’autant plus quand les enjeux politiques peuvent suffire à fluidifier les problèmes que la génétique peut soulever. Le lecteur y trouvera aussi quelques transitions de genre : à recenser les pronoms personnels qui parsèment le texte, on peut établir que ce futur reconnaît au moins cinq genres distincts. L’usage de ces pronoms pourra dérouter certains lecteurs, mais ceux qui s’accrocheront pourront apprécier l’effet recherché : celui d’une surprise, qui consiste à voir coexister dans sa tête deux images distinctes pour certains personnages… surprise par ailleurs démultipliée à la découverte du sens exact que l’une des factions de cette histoire donne au concept d’individualité !
S’il est question d’extraterrestres dans ce livre, la différence biologique est surtout explorée à travers une variante artificielle de l’humanité. Les Traducteurs Presgers sont des êtres d’apparence humaine dont la physiologie semble inclure des fonctions identiques aux nôtres… mais leurs implications la rend étrangère. S’il leur est possible de se reproduire et de se développer de la façon ordinaire, le pinacle de leur vie relationnelle repose sur un « appariement » à la fois craint et désiré mais qui relève surtout de la nécessité biologique. Quant à leur maturation intellectuelle, elle requiert un apprentissage dans des crèches où la survie n’est pas garantie face à la voracité de leurs pairs. Dans ces conditions, il arrive parfois qu’un juvénile puisse espérer une échappatoire vers la condition humaine perçue comme moins périlleuse… Mais comment accomplir une transition aussi audacieuse, puisqu’elle vient entrer en conflit avec une série d’impératifs biologiques ? Suffit-il, pour être humain, de décider qu’on l’est ou bien faut-il que d’autres vous reconnaissent ce statut envié ? Transitions pose ces questions ambitieuses dans un temps fictionnel assez ramassé. Il y répond par moments de façon tonique et même passionnante, mais ses péripéties ne vont jamais jusqu’à l’éblouissant, et la résolution de ses propres énigmes est presque toujours scolaire. Qu’en retenir, une fois la dernière page tournée ? Que la biologie met parfois des obstacles sur le chemin de vie de l’individu – mais que les lois, les accords et les traités peuvent contribuer à les contourner ?
Ce n’est déjà pas si mal, mais c’était bien la moindre des choses.

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