La Nuit des Temps : les représentations du temps dans la science-fiction

Première conférence à laquelle j'ai assisté aujourd'hui Vendredi 10 Novembre aux Utopiales 2012, celle-ci faisait intervenir cinq auteurs venus d'horizons très différents : nuls autres que Pierre Bordage, Gérard Klein, Kris, Michael Moorcrock et Neil Gaiman. Encadrée par Jérôme Vincent, la problématique de cette conférence était de savoir comment le temps peut être utilisé en tant que matière fictionnelle ? En voici mon compte-rendu résumé.
Dramatis personae : de gauche à droite, Jérôme Vincent, Neil Gaiman, Michael Moorcrock, Kris, Gérard Klein et Pierre Bordage.
Gérard Klein a d'emblée situé l'introduction d'une donnée nouvelle en SF avec le livre fondateur de H. G. Wells, La Machine à explorer le Temps, où apparaît la première "time machine" (expression éponyme d'ailleurs consacrée depuis en anglais pour désigner cet objet), même si Michael Moorcrock a signalé plus tard que la notion de voyage temporel au sens strict est antérieure. Avec cette oeuvre, le public prend conscience que le temps est une dimension. Peuvent alors se poser des questions nouvelles : le voyage dans le temps devient un moyen d'effacer les erreurs dans le passé... mais aussi d'introduire des paradoxes, imposant donc de gérer au mieux les possibles. Le mot uchronie a ici été lancé par Kris, qui présente ce genre comme celui du what if. Avec le jeu des réalités alternatives, le genre du voyage temporel prend toute sa valeur de genre des possibles, permettant de faire de la fiction historique par d'autres moyens, d'autant plus, comme l'a fait remarquer plus tard Neil Gaiman (auteur avec 1602 d'une histoire où des super-héros connus du grand public pour être contemporains sont représentés au XVIIème siècle) que de nos jours même les enfants maîtrisent les codes du voyage temporel.

Pierre Bordage est alors intervenu pour exprimer une conception originale du temps. Pour lui, la flèche du temps ne pouvant être inversée, l'être humain possède une vision chronologique du temps, vision erronée car le temps présente aussi des aspects cycliques. Le voyage temporel pourrait donc s'apparenter à une façon de se révolter contre le temps à travers la SF. La démarche de Pierre Bordage est donc d'essayer, au contraire, d'accompagner le temps : ses personnages ne sont pas en quête d'immortalité mais bel et bien d'éternité, forme non de rejet mais d'acceptation du temps. Cette dichotomie entre temps chronologique et temps cyclique a été alors complétée par Gérard Klein, qui a précisé que l'espèce humaine vit dans un "temps court", à l'échelle de quelques décennies, ce qui a pu entraîner des erreurs dans le flux historique. Le "temps long" impliqué dans certains phénomènes sociaux ou naturels, devenant peu à peu accessible par l'augmentation de l'espérance de vie, on pourrait espérer l'émergence d'une perception nouvelle de ces réalités par l'espèce humaine.

L'intérêt central du voyage temporel en SF, comme l'a confirmé alors l'intervention de Kris, est encore de chercher à savoir comment modifier le présent : la machine temporelle en tant que telle n'est pas aussi intéressante que la perspective historique. Neil Gaiman comme Michael Morcroock considèrent eux aussi que le voyage temporel est intéressant si l'on a une histoire dans l'Histoire à raconter. Le voyage temporel s'apparente alors souvent à de la fiction historique, mais en permettant à l'auteur de toujours exprimer sa sensibilité : en travaillant avec la Révolution française dans le cadre de L'Enjomineur, Pierre Bordage a privilégié un voyage dans un temps non physique, mais plutôt psychologique et de la sorte, les romans historiques sont un peu aussi des histoires de voyages dans le temps... La conférence n'aurait pas été complète s'il n'avait été question des paradoxes temporels. Ils ont été évoqués tout au long des interventions, permettant de voir apparaître plusieurs attitudes à leur égard chez les intervenants. Certains en sont friands et les considèrent comme des objets science-fictionnels à part entière. D'autres, au contraire, cherchent à les éviter, les trouvant peut-être inquiétants ? L'un d'entre eux, enfin, s'il n'y a pas encore eu recours, a pour intention d'en invoquer tôt ou tard, car les paradoxes sont pour lui ludiques.

De l'attitude de l'homme face au temps (chronologique ou cyclique, long ou court) aux implications de son existence sur l'unicité du présent, cette conférence, très riche, méritait que l'on y assiste. Merci !

Commentaires

Guillmot a dit…
Je crois que cette conf était très complémentaire de celle de E. Klein le lendemain !
Anudar a dit…
N'ayant pas vu celle d'E. Klein, je ne saurais pas te dire. Je suppose que c'était beaucoup plus orienté sciences ?
Astrid (Nessie) a dit…
Oui, pour y avoir assisté, Etienne Klein a largement abordé la thématique du temps en physique lors de son intervention. Mais comme dit Guillaume, cet éclairage scientifique était pour le coup très complémentaire de la conférence sur les représentations du temps en SF !
Anudar a dit…
A-t-il parlé de la possibilité du voyage temporel ?
Astrid (Nessie) a dit…
Oui, il a abordé cette problématique après avoir défini la notion de temps en physique. Voici le lien vers le podcast de la conférence si tu souhaite la réécouter :)

http://www.actusf.com/spip/Utopiales-12-Conference-Rencontre,14387.html

Voici également un lien vers une émission plus ciblée sur le voyage dans le temps, par Etienne Klein (diffusée sur France Culture) :

http://www.franceculture.fr/emission-cinq-questions-legerement-metaphysiques-peut-on-voyager-dans-le-temps-2012-08-18
Anudar a dit…
Merci pour les liens !
Lhisbei a dit…
N'ayant assisté à aucune des deux conférences citées dans le billet et les commentaires, vous m'avez bien donné envie de les rattraper là.
Anudar a dit…
C'est le but recherché.
Yaneck a dit…
Non mais le plateau de fous... Gaiman, Moorcock et Kris????