Le Spirou de... Flix : Spirou à Berlin

Nouvelle itération dans la série Le Spirou de..., ce Spirou à Berlin fait référence par son titre (bien sûr) aux grands albums Spirou à New York et Spirou à Moscou de la série classique - et d'autant plus que la scène de couverture montre que l'époque explorée ne sera autre que celle d'avant 1989, rendant l'intrigue de cet album contemporaine de celles des deux autres sus-cités...
Résumé : 
La RDA est au bord de la faillite et ses dirigeants ne savent plus quoi faire pour redresser la barre... C'est sans compter l'irruption d'un aventurier venu leur offrir la perspective d'une richesse illimitée ! A plusieurs centaines de kilomètres, le Comte de Champignac écarte l'idée de participer à un congrès de mycologie ayant lieu à Berlin-Est, au grand dam de Fantasio toujours à la recherche d'un scoop digne de la haute opinion qu'il se fait de sa carrière de journaliste... Pourtant, lui et Spirou vont devoir partir vers l'Est quand le Comte disparaît dans des conditions étranges et même louches : a-t-il tout compte fait décidé de faire le voyage vers la RDA... ou bien a-t-il été enlevé par les redoutables services secrets de l'Allemagne de l'Est ? Sur place, les deux compères vont découvrir un Etat policier envahissant : pourront-ils dénouer les fils du sombre complot, alors même qu'il est orchestré par l'un de leurs très vieux ennemis ?
Berlin-Est, 1989, quelques semaines avant la chute du Mur : le décor est planté pour cet album et le projet de l'auteur - Flix est Allemand et vit à Berlin - est clair car annoncé en quatrième de couverture, il s'agit de mettre en lumière le rôle que Spirou et Fantasio ont eu dans le basculement de l'Histoire. Si les deux compères ont souvent eu maille à partir avec le fil de celle-ci, on doit reconnaître qu'ils se sont somme toute assez peu souvent préoccupés de politique - ou alors, de façon consensuelle : on sait qu'ils n'aiment pas les dictatures. C'est là le principal problème que pose d'après moi cet album : le parti-pris de l'auteur est transparent, il s'agit de montrer l'envers du décor de la RDA et de le faire sans concessions, ou du moins de le faire de la façon qu'il estime être sans concessions.

Montrer l'envers du décor d'un Etat policier, cela signifie montrer autre chose qu'un village Potemkine - et il y avait matière à faire avec Berlin-Est ! Quelques cases permettent à l'auteur d'atteindre son objectif quand, à quelques pages de distance, Fantasio assiste à des scènes de rue où règnent bienveillance, abondance et paix : Berlin-Est cherchait à rivaliser avec sa voisine occidentale dont les rues étaient visibles de l'autre côté du Mur - et donc, il fallait que la capitale de la RDA soit autant que possible une vitrine destinée à montrer les succès du régime... Mais derrière la vitrine se trouve la réalité : pénurie, surveillance, arrestations arbitraires - et même ce gag où Spirou mord dans une pomme factice (en cire) évoque bien les surprises qui attendaient le voyageur venu de l'Ouest.

Hélas, dans la majeure partie du volume de l'album, l'auteur hésite quand à son sujet... Les touristes occidentaux - ce que sont Spirou et Fantasio - n'entraient pas à Berlin-Est incognito, et surtout pas lorsqu'il fallait franchir le Mur à l'un de ses points de passage officiels. La police est-allemande était-elle incompétente - et donc risible dans ses efforts de contrôle de la population - ou bien terrifiante au contraire par son efficacité ? Le fait est que dans cette histoire : les personnages passent à travers les contrôles grâce à de (mauvais) déguisement et à des passeports falsifiés... puis se présentent ensuite à leur hôtel sous leurs vraies identités ; la plus sûre façon d'échapper à des policiers ou de se débarrasser d'un mouchard semble encore de faire quelques cascades à pied ou en voiture ; et les sbires de la Stasi sont capables d'atteindre un orang-outan dans un couloir et de manquer un groom dans une ruelle.

Il est, je pense, légitime de parler de sujets graves - mais il convient alors de les traiter avec le sérieux qu'il convient : c'est ce que fait - avec beaucoup de talent d'ailleurs - Emile Bravo dans L'espoir malgré tout. Ici, je crois que le schéma choisi par l'auteur pour raconter cette histoire n'était pas le meilleur. S'il existait une place pour un Spirou à Berlin, et si l'argument de l'album méritait qu'on le développe, il était nécessaire selon moi de l'écrire avec un peu plus de vraisemblance. Au fond, ce qui sonne le plus juste dans cette histoire c'est encore les quelques cases en forme de clin-d’œil au phénomène de société que constitue le naturisme en Allemagne : le reste n'est qu'une succession de scènes de course-poursuite que séparent dans la plupart des cas d'ennuyeux monologues. Non, ce qu'il faut retenir de cet album, c'est que la RDA n'était rien d'autre qu'une prison à ciel ouvert - une thèse qui reste malgré tout contredite par l'Ostalgie par ailleurs bien réelle d'une partie des ex-Allemands de l'Est...

La quatrième de couverture signale que Flix rend un hommage personnel à [Spirou et Fantasio]. Je crois que l'album aurait gagné à ce que cet hommage, peut-être, se soit fait un peu moins personnel.

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