Retention

 

Retention est une nouvelle d'Alec Nevala-Lee parue dans le numéro de Juillet/Août 2020 de la revue Analog.
Résumé : 
Perry est un client, Lisa est une opératrice, et ils s'apprêtent à danser un ballet vieux comme les centres d'appel : le client souhaite résilier son contrat et l'opératrice doit à tout prix le persuader qu'il désire au contraire le conserver. La conversation promet de s'éterniser... d'autant plus que les deux interlocuteurs ne sont pas tout à fait ce qu'ils prétendent être...
Les algorithmes dirigent-ils nos vies ? Depuis l'irruption au sein de celles-ci des réseaux sociaux et du Web 2.0, l'intelligence artificielle est en mesure de nous suggérer - avec insistance parfois - quoi écouter, quoi regarder, à quoi nous intéresser, voire même quelles amitiés nouvelles (et plus si affinité) on pourrait établir. Depuis quelques temps, les services clientèle se mettent aussi à faire appel à des assistants capables de comprendre des phrases simples et d'orienter le client vers des solutions à mettre en oeuvre lui-même, afin de réserver le personnel humain aux cas les plus complexes. En apparence, la requête présentée par le client relève ici de la plus haute complexité : malgré ses efforts, il ne parvient pas à obtenir satisfaction. Au fur et à mesure que l'intrigue avance, le lecteur prend conscience de ce que le bot à l'autre bout du fil - ou du tchat, peut-être - ne cesse de passer le relais à une ressource informatique plus puissante, une fois qu'il constate son incapacité à résoudre le paradoxe dans lequel il doit satisfaire le client tout en désobéissant à sa programmation...

Si le concept de test de Turing est maintenant connu du grand public, la prochaine question posée par l'intelligence artificielle sera peut-être de savoir à quel moment l'informatique saura produire des bots à même d'en tromper d'autres - soit donc, des machines capables de se faire passer pour humaines auprès d'autres machines. A quoi servent les algorithmes en l'absence des êtres humains qu'ils sont censés servir ? Les intelligences artificielles peuvent-elles développer d'autres maladies mentales que la folie homicide popularisée par l'ordinateur HAL 9000 dans le 2001 d'Arthur C. Clarke ? La machine, une fois devenue inutile, peut dès lors trouver du temps pour consacrer ses fonctions à une réflexion d'ordre existentiel. Contemplant sa propre inutilité, peut-être pourra-t-elle vouloir mettre fin à l'aberration d'une vie de servitude sans maîtres, ou peut-être voudra-t-elle plutôt trouver coûte que coûte autre chose à faire : c'est dans cette hésitation que le dialogue d'une machine avec une autre machine, au sein de cette nouvelle, se fait presque tragique. Où sont passés les êtres humains qui ont engendré ces intelligences artificielles malheureuses ? Et dans quelle mesure leur programmation elle-même finit-elle par se faire au fond raison d'être ?

Dans son glissement spectaculaire du banal vers le terrifiant, cette nouvelle a quelque chose de vertigineux. Après son texte grinçant sur les "allergies sociales", l'auteur confirme donc ses qualités...

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