Une forme de démence

J'ai jusqu'ici peu lu Lionel Davoust : un roman court et une nouvelle, d'ailleurs parue dans une précédente Anthologie des Utopiales, constituent mes seules incursions dans son imaginaire.
Résumé : 
Príor Hallmarsson est un écrivain islandais dont l'oeuvre, étalée sur un demi-siècle, a révolutionné la fantasy... et voici que cet universitaire monomaniaque, à l'approche de la retraite, veut faire numériser les notes qui décrivent son univers d'Alterna. Edda, étudiante en sciences de l'information, va s'atteler à cette tâche qui s'annonce d'autant plus immense que le vieil écrivain hésite souvent : lequel de ces précieux documents est le bon et doit faire foi ? Cette indécision ne vient-elle que de la complexité de son oeuvre... ou a-t-elle d'autres causes ?
Le Seigneur des Anneaux n'est pas sorti tout armé de l'esprit fertile de J.R.R. Tolkien : il est la résultante d'un travail entamé trente ans plus tôt, et qui serait appelé à rester inachevé du vivant de l'auteur (voire même après). La création littéraire dont parle ici Lionel Davoust s'apparente au Légendarium de Tolkien : il s'agit de décrire un monde dans ses moindres détails - cartographiques, historiques, linguistiques... - et de le rendre ainsi plus réel aux yeux de son public. Une part de celui-ci, pourtant, éprouve une certaine frustration à constater que l'auteur s'intéresse plus volontiers à décrire Alterna qu'à y faire vivre des personnages. Publier, c'est figer, or figer revient à tuer si une erreur est faite...

L'Islande est l'un des bords du monde : cette île paisible, colonisée après la fin de l'Antiquité, reste marquée par des mythes pré-chrétiens qui sont restés vivants bien plus que le Beowulf anglo-saxon dont Tolkien était spécialiste... et c'est peut-être pour cette raison que les protagonistes de cette nouvelle peuvent envisager la superposition de réalités contradictoires. D'un côté, le monde humain d'Edda - marqué par l'Internet, les communautés de fans et les innombrables wikis disséquant un oeuvre tentaculaire ; de l'autre, le monde qui s'appelle peut-être Alterna, et qui peut n'exister que dans la mémoire affaiblie de Príor... ou bien avoir qui sait une existence plus concrète quelque part. C'est au fond dans cette coexistence que la fantasy prend son sens !

La fin non conclusive de ce texte n'est frustrante qu'à première vue : le Silmarillion publié frustre-t-il parce qu'il n'explicite pas Dagor Dagorach ? S'il est possible de reprocher à ce texte un certain manque d'enthousiasme, on devra lui reconnaître une approche intéressante : pasticher la vie de Tolkien plutôt que son oeuvre, il fallait le faire, et Une forme de démence y parvient en rappelant que l'oeuvre vit dans le dialogue entre imaginaires...

Commentaires

Christian a dit…
J’avais été scotché par ses nouvelles L’importance de ton regard où il développait des thèmes intéressants. Du coup je l’ai prêté avec toujours de bons retours.
Je note celui là.
Anudar a dit…
Je ne garde pas un souvenir ébloui de "La volonté du dragon", mais le présent texte court était bien intéressant je dois le reconnaître !