Pékin origami

Le cinquième texte de l'anthologie officielle des Utopiales 2017 est traduit depuis le chinois. Il est écrit par Hao Jingfang, une auteure dont je n'avais jusqu'à présent jamais entendu parler.
Résumé :
La ville de Pékin s'est changée en monstre d'origami : à intervalles réguliers, les habitants de ses différents espaces subissent le basculement - c'est-à-dire le repliement de leurs immeubles afin de céder la place à ceux d'un autre espace. Lao Dao vit dans le troisième espace, qui est celui du prolétariat et pour qui le jour dure de dix heures du soir à six heures du matin. S'il a renoncé pour lui-même à tout désir d'ascension sociale, il veut pouvoir faire le bonheur de sa fille Tang-Tang - quitte à s'infiltrer sans autorisation jusque dans le premier espace afin d'y accomplir une mission risquée mais très bien payée. A-t-il quelque chose à perdre ?
L'ambiance de cette ville du futur est volontiers dystopique : les classes supérieures bénéficient d'un jour complet pour mener leur vie, les classes moyennes peuvent vivre pendant la journée alors que le petit peuple quant à lui ne dispose que de huit heures de vie la nuit toutes les tranches de quarante-huit heures et passe le reste en état d'hibernation. L'organisation est rationalisée à l'extrême, promettant même d'être encore améliorée d'une façon ou d'une autre - et peut-être bien d'une façon inquiétante si l'on en croit les allusions que s'échangent les grands de la ville. Autant dire que cette nouvelle n'est dans l'ensemble pas très optimiste : dans ce futur incertain, il n'y a pas d'horizon pour le prolétariat en dehors du travail presque gratuit, l'autre modèle étant celui du chômage de masse...

Et pourtant, les classes sociales ne sont pas aussi imperméables que l'organisation rigide de ce Pékin d'origami pourrait le laisser croire : le passage d'un espace à l'autre est possible comme le montre l'épopée de Lao Dao, même si celui-ci triche au jeu des "basculements" au péril de l'arrestation, de blessures graves ou peut-être même de sa vie... mais les différentes populations, surtout, semblent avoir conscience de leur origine commune. Certains membres des classes sociales supérieures ont des parents dans les autres espaces qu'ils désirent aider, d'une façon ou d'une autre ; certains autres peuvent former des attachements que les conventions sociales réprouvent. Même dans cette société en cours de fossilisation, la simple humanité trouve à s'exprimer à travers ses rêves et sa volonté inébranlable : c'est peut-être là le principal intérêt de cette histoire pas aussi sombre qu'il y paraît au premier abord...

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