L'enfant de poussière
Chaudement recommandé par les amis Gromovar et Nicolas Winter, ce livre de Patrick K. Dewdney a ainsi gagné chez moi son passeport pour une lecture... avant de gagner en fin de compte son passeport pour une chronique sur mon blog.
Résumé :
Ce n'est pas encore le quart du septième siècle d'une ère obscure, et le roi Bai - unificateur temporaire d'une mosaïque de principautés antagonistes - vient de mourir sans avoir préparé sa propre succession... Pour Syffe, un garçon de huit ans que la veuve Tarron élève avec d'autres orphelins aux portes de la ville frontalière de Corne-Brune, la mort du roi et la probable dispersion du royaume n'ont aucun sens : ne comptent pour lui que les amis avec lesquels il partage la grange de la veuve, les jeux dans les rues, dans les champs et dans le village des nomades sédentarisés qui vivent aux marges de la société urbaine. Ce qu'il ne sait pas, c'est que sa vie si douce va voler en éclats : les rancœurs sont bien trop fortes à Corne-Brune pour que le sang n'y coule pas avant longtemps. Trouvera-t-il une opportunité pour grandir dans le monde dangereux que construisent les adultes, alors même que ces derniers sèment la guerre sur le terreau fertile des haines anciennes ?
Le titre de ce livre, intrigant dès le premier abord, évoquera au lecteur différents symboles à commencer par le fameux "car tu es poussière, et tu retourneras en poussière" de la Génèse : métaphore à double-sens de la nature organique de l'être humain - et donc de sa durée de vie limitée par l'entropie - et allusion à son origine minérale dans le récit de la Création. D'intrigant, ce titre se révèle trompeur : Syffe - le jeune personnage principal et narrateur de cette histoire - vit dans un monde où, si la religion existe, elle semble se résumer la plupart du temps à des superstitions ou même à de la pensée magique. Si l'enfant du titre semble porté lui-même à celles-ci aux premiers temps de son épopée, la cruauté sans nom du monde adulte - faite de lois inflexibles, de vains complots et de trahisons - l'amène à prendre conscience de ce qu'il vit dans un monde où les dieux, s'ils existent, sont impuissants ou en tout cas indifférents à son sort ; et quand les dieux s'absentent, les hommes les plus forts écrivent leur propre destin au détriment des plus faibles.
Syffe est un orphelin. Il est le produit de quelque métissage entre la population autochtone et les descendants d'une armée nomade qui s'est autrefois brisée sur les murs de Corne-Brune : cette parenté incertaine équivaut pour lui, au jeu truqué de la vie, à la distribution d'une main sans aucun atout - et ce d'autant plus que les héritiers des vainqueurs d'autrefois, s'ils n'ont pu chasser les héritiers des vaincus, n'ont jamais renoncé à la perspective de les renvoyer sur leurs terres d'origine... Le destin de Syffe est donc tout tracé : au mieux pourra-t-il vivre une existence marginale où nul ne voudra jamais tout à fait de lui - pas même ses frères et sœur d'infortune qui, dans leur orphelinat, n'hésitent pas à mettre de la distance entre eux et lui au premier écart de conduite - et au pire finira-t-il au bout d'une corde - poussière enfin redevenue poussière... Le destin de Syffe, pourtant, va connaître des bifurcations étonnantes : à la faveur des intrigues de plus en plus dangereuses qui menacent la stabilité de Corne-Brune, le jeune garçon sera fait à la fois espion et apprenti chirurgien, puis deviendra l'élève d'un farouche mercenaire. Les bonnes étoiles ne seront cependant que des leurres : comme toujours, lorsque les dieux s'absentent, les hommes forts piétinent le destin des plus faibles - et malgré ce qu'il prend pour autant d'aubaines, Syffe restera toujours l'un des plus faibles parmi les plus faibles. Cette histoire est donc celle d'un apprentissage, celui de l'implacabilité du destin ; et en ce sens L'enfant de poussière est-il un récit picaresque très bien caractérisé, où ne manquent pas les mentors - pour ne pas dire les figures paternelles - dont tous ne sont pas ambivalents, dont tous ne sont pas intéressés, dont aucun en fin de compte ne se révélera indestructible.
Récit de fantasy, L'enfant de poussière est soutenu - comme c'est souvent le cas pour les romans de fantasy réussis - par un worldbuilding exigeant : il s'agit d'accomplir la gageure de décrire un monde familier mais en même temps différent du nôtre. Si le Royaume-Unifié en cours de délitage aurait tendance à évoquer le Saint-Empire romain germanique - les primats et leur "table-ronde" apparaissant comme des citations des princes-électeurs de l'Empire et de leur collège électoral - on devine assez vite qu'au-delà des frontières de cette mosaïque si fragile se trouvent des ensembles politiques bien différents. Outre les Syffes - desquels tire son nom le personnage principal de l'histoire - que l'on aimerait identifier comme des huns, des avars ou peut-être même des mongols, c'est à la culture des Vars que l'auteur va réserver la majeure partie de son attention. Peuple guerrier, défenseur jaloux de son indépendance et de ce fait composant des corps de mercenaires très appréciés sur les champs de bataille, les Vars s'expriment dans une langue où l'on perçoit une influence germanique et scandinave si bien qu'il est plus que tentant de les interpréter comme des vikings - des varègues ! - de fiction. Il y a donc ici tous les ingrédients d'un Haut Moyen-Âge de fantasy, auxquels vient s'ajouter le piquant - pour le moment à peine suggéré - d'une réalité transcendante : au-delà des frontières de l'ex-Royaume-Unifié, il existe des endroits où peuvent grouiller des monstres, des êtres quasi-humains et peut-être même des créatures démoniaques prêtes à faire le malheur des pauvres gens qui viendraient à croiser leur route... C'est aussi à cette réalité transcendante que Syffe devra se confronter : quelle place peut occuper le surnaturel dans un monde où les dieux sont réputés absents ?
Dans cet univers où le chaos n'est pas une puissance primordiale mais bel et bien le seul vainqueur d'une guerre d'hommes, de principautés mais aussi et surtout de cultures, le destin de Syffe - sauvé trois fois, et trois fois dépossédé de sa propre vie - se révèle brûlant comme une braise. Pour explorer les abysses de ce royaume si mal unifié qu'il s'enfonce dans une guerre moins civile que féodale, il fallait bel et bien le regard d'un enfant sorti de rien ; pour donner à voir ce qu'il se passe quand le chaos se déchaîne, il fallait bien aussi que cet enfant voie disparaître un par un les derniers vestiges de sa foi en une justice qui serait intrinsèque à l'ordre du monde... C'est donc une leçon magistrale qu'administre l'auteur, une leçon cruelle et pourtant incandescente, celle qui - venue tout droit d'une réalité incertaine et fictive - s'adresse à un monde réel et pourtant tout aussi incertain. Bravo !
Syffe est un orphelin. Il est le produit de quelque métissage entre la population autochtone et les descendants d'une armée nomade qui s'est autrefois brisée sur les murs de Corne-Brune : cette parenté incertaine équivaut pour lui, au jeu truqué de la vie, à la distribution d'une main sans aucun atout - et ce d'autant plus que les héritiers des vainqueurs d'autrefois, s'ils n'ont pu chasser les héritiers des vaincus, n'ont jamais renoncé à la perspective de les renvoyer sur leurs terres d'origine... Le destin de Syffe est donc tout tracé : au mieux pourra-t-il vivre une existence marginale où nul ne voudra jamais tout à fait de lui - pas même ses frères et sœur d'infortune qui, dans leur orphelinat, n'hésitent pas à mettre de la distance entre eux et lui au premier écart de conduite - et au pire finira-t-il au bout d'une corde - poussière enfin redevenue poussière... Le destin de Syffe, pourtant, va connaître des bifurcations étonnantes : à la faveur des intrigues de plus en plus dangereuses qui menacent la stabilité de Corne-Brune, le jeune garçon sera fait à la fois espion et apprenti chirurgien, puis deviendra l'élève d'un farouche mercenaire. Les bonnes étoiles ne seront cependant que des leurres : comme toujours, lorsque les dieux s'absentent, les hommes forts piétinent le destin des plus faibles - et malgré ce qu'il prend pour autant d'aubaines, Syffe restera toujours l'un des plus faibles parmi les plus faibles. Cette histoire est donc celle d'un apprentissage, celui de l'implacabilité du destin ; et en ce sens L'enfant de poussière est-il un récit picaresque très bien caractérisé, où ne manquent pas les mentors - pour ne pas dire les figures paternelles - dont tous ne sont pas ambivalents, dont tous ne sont pas intéressés, dont aucun en fin de compte ne se révélera indestructible.
Récit de fantasy, L'enfant de poussière est soutenu - comme c'est souvent le cas pour les romans de fantasy réussis - par un worldbuilding exigeant : il s'agit d'accomplir la gageure de décrire un monde familier mais en même temps différent du nôtre. Si le Royaume-Unifié en cours de délitage aurait tendance à évoquer le Saint-Empire romain germanique - les primats et leur "table-ronde" apparaissant comme des citations des princes-électeurs de l'Empire et de leur collège électoral - on devine assez vite qu'au-delà des frontières de cette mosaïque si fragile se trouvent des ensembles politiques bien différents. Outre les Syffes - desquels tire son nom le personnage principal de l'histoire - que l'on aimerait identifier comme des huns, des avars ou peut-être même des mongols, c'est à la culture des Vars que l'auteur va réserver la majeure partie de son attention. Peuple guerrier, défenseur jaloux de son indépendance et de ce fait composant des corps de mercenaires très appréciés sur les champs de bataille, les Vars s'expriment dans une langue où l'on perçoit une influence germanique et scandinave si bien qu'il est plus que tentant de les interpréter comme des vikings - des varègues ! - de fiction. Il y a donc ici tous les ingrédients d'un Haut Moyen-Âge de fantasy, auxquels vient s'ajouter le piquant - pour le moment à peine suggéré - d'une réalité transcendante : au-delà des frontières de l'ex-Royaume-Unifié, il existe des endroits où peuvent grouiller des monstres, des êtres quasi-humains et peut-être même des créatures démoniaques prêtes à faire le malheur des pauvres gens qui viendraient à croiser leur route... C'est aussi à cette réalité transcendante que Syffe devra se confronter : quelle place peut occuper le surnaturel dans un monde où les dieux sont réputés absents ?
Dans cet univers où le chaos n'est pas une puissance primordiale mais bel et bien le seul vainqueur d'une guerre d'hommes, de principautés mais aussi et surtout de cultures, le destin de Syffe - sauvé trois fois, et trois fois dépossédé de sa propre vie - se révèle brûlant comme une braise. Pour explorer les abysses de ce royaume si mal unifié qu'il s'enfonce dans une guerre moins civile que féodale, il fallait bel et bien le regard d'un enfant sorti de rien ; pour donner à voir ce qu'il se passe quand le chaos se déchaîne, il fallait bien aussi que cet enfant voie disparaître un par un les derniers vestiges de sa foi en une justice qui serait intrinsèque à l'ordre du monde... C'est donc une leçon magistrale qu'administre l'auteur, une leçon cruelle et pourtant incandescente, celle qui - venue tout droit d'une réalité incertaine et fictive - s'adresse à un monde réel et pourtant tout aussi incertain. Bravo !
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