Amazonie tome 4

Leo, Rodolphe, Marchal : trois noms de la BD qui reviennent souvent sur mon blog en raison de leurs séries que je suis au fil des ans... Les voici de retour avec un nouveau tome d'Amazonie, troisième cycle de la série Kenya ouverte il y a pas loin de vingt ans à présent.
Résumé : 
Quelque part dans le Gau de Dresde, à l'automne 1943, le Doktor Müller achète pour le montrer dans son cabinet de monstres un être gigantesque, à la peau pâle et au crâne énorme : sans conteste la plus belle pièce de son spectacle, il attire aussitôt l'attention d'un Sturmbahnführer SS ayant privatisé l'exposition pour son fils. Le monstre difforme est rétif et fait preuve de pouvoirs surnaturels : il semble capable de projeter sa pensée... mais aussi de faire s'enflammer le bras de son maître ! La démonstration intéresse le SS au point qu'il achète la créature... En 1949, Kathy et Delio sont toujours perdus en Amazonie : sans qu'ils en aient été témoins, la blessure du sud-américain a été guérie par l'"extraterrestre" sur les traces duquel s'est lancée l'espionne britannique... alors que le bateau des allemands toujours en quête d'un sous-marin qu'ils imaginent rempli des trésors de Hitler s'est empêtré dans des racines et se trouve sous les flèches d'indigènes hostiles. Qui est cet individu à l'apparence dérangeante qui semble être le point commun aux enquêtes que conduisent Kathy, les allemands et les deux chercheurs de la Bram Stoker Society ? Est-il un monstre extraterrestre, un mutant humain... ou quelque chose de plus inquiétant ?
J'ai eu l'occasion de le dire par ailleurs, la décennie 1940 n'est pas marrante. L'Europe est alors le théâtre des crimes nazis : l'extermination industrielle de groupes humains est la triste conséquence logique d'idées racistes postulant l'infériorité de certains représentants de l'humanité. Les premières pages de cet album, destinées à préciser le passé de la créature qui est l'argument du cycle mais aussi à expliquer la relation étrange - et peut-être dérangeante - qui l'unit à l'un des protagonistes allemands, rappellent que ces idées racistes préexistaient à leur synthèse et leur mise en application par Hitler : au fond, le monstre que l'on regarde comme une bête de foire n'est jamais qu'un être humain différent, dont la difformité ne masque le caractère d'individu sensible qu'aux yeux qui ne désirent pas voir. Le monstre, dans le cabinet de curiosités, de quel côté de la barrière se trouve-t-il ?

Le pan amazonien de l'intrigue se décompose en deux unités : d'un côté, Kathy et Delio, et de l'autre, Reinhart et le docteur Hoffman - lequel a jadis veillé sur la créature à laquelle il a même donné le nom de Joachim. L'épopée de Kathy se révèle tout à fait inutile à la progression de l'histoire, sauf dans la dernière case de l'album - laquelle construit le cliffhanger auquel s'accroche le désir de conclusion du lecteur - si bien que l'on a, de plus en plus, l'impression d'être en présence d'un avatar de Kim dont les histoires de cœur et de cul prennent une place de plus en plus discutable dans Les Mondes d'Aldébaran... Beaucoup plus signifiante est la trajectoire des (maintenant) deux allemands : les vaincus de la seconde guerre mondiale n'ont pas perdu leurs illusions de supériorité dans l'effondrement de 1945 - et les indigènes manquent à leurs yeux de discipline voire même d'intelligence. L'assistance que leur fournit Joachim est étrange : à quel jeu joue-t-il, cet être auquel les indigènes vouent un respect démesuré ? La narration élude la plupart de ces questions - ou bien y répond de façon détournée, toujours en se jouant des notions de temps et d'espace et en visitant les mésaventures de deux anglais perdus quelques mois plus tôt chez les yankees... Après tout, partis dans les Carpates sur les traces de Dracula et de Bram Stoker, n'ont-ils pas éveillé l'intérêt des services secrets soviétiques ? Et à présent qu'ils recherchent un fragment de météorite lié à des événements très étranges, ne risquent-ils pas d'attirer l'attention du contre-espionnage des Etats-Unis ?

Jouant avec talent de la mythologie des premiers temps de la guerre froide et frôlant les rivages tentateurs de l'Histoire secrète, cet album peut-être un peu lent dans sa narration ne diminue pas l'intérêt d'Amazonie. Les auteurs avaient besoin, de toute évidence, d'un temps de contemplation pour faire naître une sensation de malaise chez leur lecteur : à présent que sont dévoilées l'identité ainsi que la nature de Joachim, on comprend que la résolution des vrais mystères est pour le prochain (et dernier ?) volet de cette histoire... soit donc, toujours plus loin dans le cauchemar. Bravo !

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