Le Syndrome de Pan

De Morgane Caussarieu, il a déjà été question ici grâce à l'éprouvant Je suis ton ombre qui avait gagné en 2015 le Prix des Blogueurs du Planète-SF. La présente nouvelle, qui figure au sommaire de l'édition 2018 de l'Anthologie des Utopiales, est plus ancienne que Je suis ton ombre : elle invoque les mânes d'un personnage littéraire fascinant, celui de Peter Pan.
Résumé : 
A douze ans, Evi se débat entre les désagréments de l'enfance finissante et ceux de la puberté commençante : il lui faut partager sa chambre avec son petit frère tout en supportant les poussées d'acné comme la croissance de la pilosité axillaire. Tous les soirs, elle et Simon lisent et relisent le vieil exemplaire de Peter Pan offert par leur mère : ce qu'ils ne savent pas, c'est que Peter s'apprête à venir gratter à leur fenêtre... Vient-il pour les emmener au Pays Imaginaire ? Le terrain de jeu des garçons perdus va se révéler bien peu semblable à celui du livre d'Evi - et ses sentiments ambivalents pour Peter vont peut-être bien les conduire, elle et Simon, à commettre une très lourde erreur de jugement !
Peter Pan est l'une de ces œuvres que l'on connaît - ou croit connaître - sans l'avoir lue : l'adaptation de Walt Disney a su, dès sa sortie en 1953, imposer un certain nombre d'images mentales puissantes. A la lecture du texte de James Matthew Barrie qui lui est antérieur de quarante ans, on découvre que le Peter Pan de Disney est moins complexe et surtout plus positif que celui de Barrie, ce dernier recourant semble-t-il à l'élimination physique pour garantir que les garçons perdus ne grandissent pas... Mais pourquoi lui-même a-t-il cessé de grandir ? La solution que Morgane Caussarieu propose ici est originale et trash à souhait !

Le Peter Pan qu'imagine Morgane Caussarieu est en effet fort peu recommandable, moins encore que celui que dépeignait James Matthew Barrie : vivant dans un parc d'attractions désaffecté de Londres, sans Capitaine Crochet pour servir de dérivatif à sa haine de l'adulte, et sans fée Clochette pour donner corps à son imagination, cette version de Peter Pan assoit son autorité sur les garçons perdus par la peur et la menace physique, exerce sa cruauté sur les pauvres hères qui pullulent dans les rues de Londres et substitue aux pouvoirs conférés par la "poudre de fée" les rêves artificiels qu'occasionne une poudre d'un autre genre... La transgression qu'offre la fréquentation de ce Peter Pan est donc un trompe-l’œil destiné à cacher sa véritable nature de prédateur.

Mais qui d'autre que le Peter Pan du livre est susceptible de venir toquer aux fenêtres la nuit ? Telle est l'énigme qu'Evi va devoir trouver à résoudre, alors que les indices dérangeants s'accumulent devant ses yeux. Au bout du voyage, se trouve le choix ignoble entre l'enfance prolongée à l'infini par un monstrueux artifice et l'âge adulte hanté de cauchemars et de regrets. Le sang menstruel perdu par Evi au terme de la nouvelle témoigne de la décision qu'elle prend dans cette alternative truquée : l'histoire sombre que Morgane Caussarieu nous raconte ici - à nouveau - est une histoire très humaine, au fond. Plus même peut-être que celle de James Matthew Barrie !

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