Hérésie

Voici un livre qui était en souffrance dans ma pile à lire depuis onze ans et plus : acheté au printemps 2007, je n'en avais alors lu que quelques pages avant de passer à autre chose... Avais-je eu l'esprit trop occupé à l'époque pour aller plus loin ? La quatrième de couverture évoquait le fait que des critiques avaient comparé la richesse de l'univers d'Aquasilva - la trilogie qu'ouvre Hérésie - à celle de l'univers de Dune : comparaison n'est pas raison, et pareille référence était alors comme à présent occasion d'être intrigué. Il me fallait donc en avoir le cœur net : à la faveur d'une réorganisation de ma bibliothèque, la lecture d'Hérésie est redevenue d'actualité !
Résumé : 
Aquasilva est une planète océanique à la taille gigantesque. Les continents y sont rares et de petite taille par rapport à l'océan mondial, si bien que les grandes villes y sont elles-mêmes peu fréquentes... et les ressources minérales des continents sont par conséquent d'autant plus précieuses. Aussi, quand Cathan Taura apprend que les mineurs de son père - le Comte de Lépidor - viennent de découvrir une mine de fer d'une richesse considérable, il sait que sa vie va changer... Son père étant absent de Lépidor à la faveur d'une conférence internationale, c'est à lui que revient la tâche de traverser les mers jusqu'à Taneth, la capitale économique d'Aquasilva, pour apporter la nouvelle et faciliter la négociation d'un contrat d'exploitation. Il ignore encore que le pouvoir écrasant des prêtres de Ranthas, le dieu du feu, va venir interférer avec le destin de Lépidor et avec le sien propre... Alors qu'une génération de fanatiques est en train de formater le clergé, Cathan saura-t-il protéger son peuple, sa famille et lui-même sans risquer d'être accusé d'hérésie ?
Comme dans le Dune de Frank Herbert, l'environnement est ici peu hospitalier : si Aquasilva n'a pas la beauté aride et stérile en apparence d'Arrakis, elle se révèle tout aussi dangereuse. Les tempêtes y sont fréquentes. Les ressources du sol sont rares puisque le sol est lui-même rare. Un monde dur produit des êtres durs : la civilisation d'Aquasilva est cantonnée aux continents et en particulier à leurs côtes. Elle y est représentée par des villes où le pouvoir est partagé entre des factions plus ou moins antagonistes, les aristocrates et les marchands étant contraints à la coopération sous la férule d'un clergé de plus en plus dur avec le siècle. Quant aux arrière-pays, des tribus barbares y prospèrent le plus souvent et y vivent à l'écart des lois communes. Un voyage est donc toujours périlleux : les bateaux comme les sous-marins ont besoin de mois entiers pour atteindre leur but, pendant lesquels ils sont vulnérables aux éléments mais aussi à la piraterie - et les voyageurs, arrivés sur place, doivent faire face à des intrigues dont ils ignorent à peu près tout. Aquasilva est aussi un monde lourd de secrets : le culte officiel ne l'a pas toujours été, il ne représente qu'un aspect d'une religion plus vaste fondée sur un système à six éléments (terre, feu, air, eau, lumière et ombre) et à présent amputée ; des antagonismes nationaux anciens viennent rejouer au moment où la découverte d'une mine à Lépidor promet une prospérité nouvelle... et Cathan lui-même n'est pas tout à fait sorti de nulle part.

Le worldbuilding d'Aquasilva, s'il n'est pas inintéressant, n'a rien de très nouveau. Si le système élémentaire qui fonde la religion et la magie sur Aquasilva est original (six éléments au lieu des quatre habituels) ses expressions ne le sont pas, et l'on peut avoir par moments l'impression de lire une très bonne description des combats d'un épisode d'Avatar : le dernier maître de l'air alors qu'Aquasilva lui est antérieure. Certes, l'intrigue religieuse de ce livre n'est pas inintéressante non plus - mais elle ne comporte que peu d'enjeux cachés : même si Cathan n'est pas à la place qu'il occupe sans raisons, et même si le secret de sa naissance et de son statut réel est dissimulé, il n'a pas tout à fait l'envergure qui est celle d'un Paul Atréides. Il est vrai qu'il manque à Aquasilva une figure aussi impressionnante que celle du Shaï-Hulud : pas de léviathan à dompter sur cette boule d'eau, tout au plus des tempêtes que la magie peut influencer. Le ver que Cathan devra chevaucher sera donc métaphorique : ce sera celui de l'hérésie, qui s'exprime à l'écart du regard courroucé des prêtres fanatiques, et qui promet d'accéder à une vision peu orthodoxe du monde et de son passé. Dans Aquasilva, la religion a été réformée pour des raisons politiques - et maintenant, la religion se fait assez puissante pour discuter l'indépendance du politique. Si Frank Herbert dépeignait un messie à la tête de légions prêtes à convertir un empire tout entier, Anselm Audley se propose au contraire de nous montrer un Paul Atréides qui contemplerait ces légions sur le point de déferler sur son pays et ses amis...

Ce schéma n'était pas absurde et, allié au worldbuilding évoqué plus haut, il aurait pu produire un roman honorable. Hélas, quelque chose pèche et interdit à Hérésie de dépasser le seuil du passable voire du médiocre : les personnages sont mauvais. Cathan est par moments mal dégrossi ou hésitant alors qu'à d'autres il sait exploiter sa position avec une finesse remarquable : si l'on peut s'attendre à ce que le héros d'une histoire évolue au fil de celle-ci, les sauts de maturité semblent peu vraisemblables surtout lorsqu'ils ne sont justifiés que par l'imminence du danger... Parmi la théorie d'alliés qui l'accompagnent, certains d'entre eux semblent interchangeables - et à force de voir ses trois amies les plus proches venir lui sauver la mise on finit par se demander si l'auteur, amoureux de ces trois personnages féminins, ne prendrait pas plaisir à les faire tourner autour de Cathan : l'irruption de cette tension sentimentale donne à penser que le roman vise un public bien particulier, celui que l'on qualifie de Young Adult ! Quant aux ennemis de Cathan, eux aussi semblent bien peu caractérisés : bouffis d'hybris, retors et haineux, ils deviennent trop génériques pour se faire crédibles - et du coup l'on ne frémit pas d'aise lorsqu'ils sont châtiés. En fin de compte, Aquasilva ne convainc pas : ce qui lui manquait, c'était une réelle ambition... Dommage !

Commentaires