Sandman saison 1

De Neil Gaiman je garde plusieurs bons souvenirs de lecture, et un autographe signé sur l'Anthologie des Utopiales 2012 ! Je n'ai pourtant jamais lu ce qui est peut-être l'une de ses œuvres majeures, à savoir Sandman : un roman graphique abondant, dont la publication s'est étalée sur plusieurs années, qui a connu assez de succès pour asseoir (ou peut-être même faire) la célébrité de son scénariste. Adapté depuis peu en série, j'ai pu prendre connaissance de sa première saison par étapes entrecoupées de pauses indépendantes de ma volonté : en voici ma chronique.
Résumé : 
Morpheus est l'un des sept Infinis, et le maître du royaume des rêves. S'il veille sur l'équilibre onirique de l'humanité, il n'en reste pas moins vulnérable quand il fait incursion dans le monde éveillé : pourchassant un jour un cauchemar rebelle, il se voit capturé par un occultiste qui cherchait à piéger la mort elle-même pour lui extorquer l'immortalité. Morpheus retenu captif pendant plusieurs décennies et les attributs de sa puissance confisqués, l'humanité va souffrir de son absence et connaître la maladie du sommeil... et sa délivrance ne constitue qu'une étape avant de nouvelles difficultés : il retrouve le royaume des rêves en ruine et déserté, ses sujets partis pour la plupart à la recherche de leur liberté. Pour reprendre ses fonctions, Morpheus va devoir parcourir le monde réel mais aussi les royaumes des autres Infinis - chacun porteur de promesses mais aussi de malédictions...
Pourquoi rêve-t-on ? Si la science moderne est capable d'en expliquer le comment - au moins en partie - l'espèce humaine s'interroge depuis toujours sans doute sur la nature de cet état de conscience modifié qu'on appelle le rêve. Aptitude sans doute indissociable du fonctionnement des réseaux de neurones - un épisode supplémentaire, à la fin de la saison, rappelle à juste titre que les animaux rêvent eux aussi - le rêve est un moment de créativité dont la fonction neurologique ne justifie pas l'intensité ou le caractère parfois dérangeant. Si un certain nombre de personnages mythologiques sont associés au rêve, le Morpheus de Sandman - le Marchand de sable du folklore - peut s'interpréter comme une synthèse de ces êtres ayant tout pouvoir sur le sommeil et les rêves. La série choisit de lui donner l'apparence d'un homme revêtu de noir, à la chevelure ébouriffée, au teint crayeux et à l'expression incertaine - à mi-distance entre la moue et le sourire d'amusement. A ce personnage au vague aspect gothique s'associent des créatures oniriques, parfois des animaux dont certains sont mythologiques, parfois des êtres humanoïdes pouvant être monstrueux... et parfois d'autres Infinis que Morpheus traite avec plus ou moins de respect, laissant à penser qu'il existe une forme de hiérarchie dans cette communauté d'immortels.

Les péripéties de cette saison peuvent s'organiser en trois phases : la capture de Morpheus, la reconquête de ses attributs puis enfin l'élimination d'un péril existentiel lié à la nature même des rêves. Au fond, le rêve est un état qui peut s'interpréter comme la concrétisation du solipsisme : le rêveur y anime ses interlocuteurs selon sa seule volonté inconsciente, et de ce fait les rêves ne communiquent pas entre eux ; cette réalité biologique est soutenue dans la série par le concepts de "murs" infranchissables entre les rêves des différents rêveurs. Qu'adviendrait-il si l'un des rêveurs disposait du pouvoir de percer les murs... voire même de les abattre tout à fait ? La conséquence, d'après Morpheus, ne pourrait qu'être cataclysmique : cela mettrait fin à l'espèce humaine voire même à l'Univers et pareille aberration - un rêveur investi des pouvoirs de "vortex" et donc à même de visiter à sa guise le royaume de Morpheus - devrait être excisée au plus vite. La série postule qu'il s'agit d'une des missions les plus cruciales du roi des rêves, et qu'il a déjà eu l'occasion de l'accomplir maintes fois. Le fait qu'elle doive s'accomplir au sortir d'un moment de faiblesse - il vient à peine de s'extirper de sa captivité - rend son accomplissement d'autant plus important. Or, ses alliés naturels dans cette affaire le connaissent mal : les êtres humains l'admettent comme un personnage mythologique dans le meilleur des cas... et lui-même n'est pas sans considérer l'humanité avec une forme de condescendance voire de mépris. Chacun, quels que soient sa couleur de peau, son âge, son sexe ou son orientation sexuelle n'est-il pas égal à n'importe qui d'autre face au rêve ?

Situer Morpheus au sein de cet univers particulier serait impossible sans aborder le cas des autres Infinis qui apparaissent pour le moment presque au rang de stars invitées. Certains semblent sympathiser avec la cause du roi des rêves, d'autres s'en moquent un peu voire se révèlent tout à fait hostiles à lui pour une raison ou pour une autre. Le spectateur le comprend peu à peu, cette étrange famille n'est pas très unie et sous la politesse froide qui caractérise les échanges entre les différents Infinis se cache le calcul de chefs d'Etat... voire l'ambition affamée d'entités d'ordre supérieur, pour qui l'être humain n'est au mieux que le sujet de son ouvrage et au pire guère plus qu'un insecte sans statut particulier au sein de l'univers. Morpheus, bien que l'un des moins puissants des Infinis, cherche à tenir son rang avec sérieux et en respectant des règles qu'il a peut-être édictées lui-même. Sa capture puis ses années d'emprisonnement vont le changer : il faut sans doute, lorsque l'on est l'une de ces entités supérieures évoquées plus haut, faire l'expérience de la déchéance pour admettre la nécessité du renouvellement... quitte à entrer en conflit ensuite avec l'une de ses créatures, et à risquer la défaite en lui laissant le choix du terrain. Mais au fond, qu'est-ce qui peut mettre en danger de façon sérieuse un Infini, sinon la compétition avec l'un de ses pairs ? La persistance des troubles au royaume des rêves est en effet connectée à des manipulations que Morpheus lui-même ne s'explique pas dans un premier temps, et dont la résolution rend possible une seconde saison donnant lieu à une guerre ouverte entre Infinis.

Questionnant donc la nature et la substance du rêve, mais aussi la place de l'être humain au sein de ses propres mythes et peut-être d'une réalité d'ordre supérieur, Sandman se regarde comme l'on lit un roman de Gaiman : avec plaisir ainsi que curiosité de savoir où l'on va. La lenteur de certains temps de la narration pourra dérouter, surtout dans la mesure où quelques-unes des phases du récit semblent difficiles à connecter aux autres avant la fin de la saison, mais il n'en reste pas moins que ce spectacle mérite le détour... et qu'il pourrait bien convaincre le spectateur de se faire ensuite lecteur de Sandman.

Commentaires