Seuls tome 11

Nouvelle parution dans la série Seuls de Gazzotti et Vehlmann, un an et demi après l'ouverture d'un nouveau cycle plus intimiste, centré sur les jeunes héros des premiers albums - lesquels sont, à l'heure actuelle, ceux que je préfère. Après un épisode où Terry - le plus jeune des protagonistes - avait son heure de gloire (?) c'est au tour de Yvan de passer sur le devant de la scène...
Résumé : 
Yvan a fini par trouver la combinaison du cadenas qui protégeait le vélo de ses convoitises : le voici maintenant installé dans un village de bord de mer où il a pu prendre possession d'un manoir très confortable. Bien que la pêche soit bonne, ses amis lui manquent - et il a par ailleurs la nette impression de ne pas être tout à fait seul dans cette localité abandonnée... Pourtant, ce n'est pas de son discret voisin que va venir le réel danger. Camille, qui est désormais l'élue des Terres Basses, lui rend une dérangeante visite et lui annonce l'arrivée du Ravaudeur, l'un de ses sbires qui a pour mission de lui ramener Yvan... quitte à le faire "petit à petit, nuit après nuit". Yvan ne le sait pas encore, mais son propre cauchemar est loin d'avoir pris fin...
J'avoue éprouver une certaine affection pour le personnage d'Yvan et ce, depuis le début de la série en 2006 : même si je n'ai pas eu le bonheur de la découvrir quand j'avais l'âge de son public ciblé, je pense qu'Yvan aurait beaucoup plu à l'enfant que j'ai été - au sens où il m'aurait sans doute été facile de m'identifier à lui : parfois trouillard, parfois débrouillard, capable d'être courageux mais sans jamais oublier de serrer les fesses, appréciant la compagnie des autres quand il en est séparé... Pour la première fois depuis le début de la série, on découvre ici un Yvan tout à fait abandonné à lui-même. Il est arrivé dans ce petit coin de Bretagne (sans doute) suite à son premier décès dans les Limbes : ceci est donc sa deuxième "seconde vie" et, même si l'expérience de la mort et de la résurrection lui est désormais familière, il est remarquable de le voir - au contraire d'autres personnages antagonistes - continuer à maintenir les apparences d'une vie normale mais aussi se défendre avec toute son énergie et toute son intelligence. L'irruption d'un allié plus jeune que lui, et la mutilation qu'il va subir, vont le placer dans un rôle qu'il n'avait pas encore eu l'occasion de jouer : avec la disparition des leaders naturels qu'étaient Leila, Dodji et même Saul qu'Yvan trouvait confortable de suivre, il va falloir qu'il admette la possibilité d'avoir à commander mais aussi d'avoir à servir de modèle. Même si cet album est d'une extrême noirceur, au regard du traitement qu'il réserve à son protagoniste principal et en raison du comportement final confinant à l'amok de celui-ci, sa conclusion se fait sur une note que j'ai de la peine à ne pas considérer comme positive : dans les Limbes, les enfants ne grandissent pas, mais ils changent ; tout comme Terry dans l'album précédent, Yvan s'est fait plus mûr et plus adulte - pour autant que ce mot ait encore un sens dans l'univers de plus en plus cruel de Seuls.

Si les pages qui suivent l'itinéraire de Yvan sont parfaites - aussi bien d'un point de vue narratif que graphique - l'album entier, quant à lui, ne l'est pas tout à fait. Un sixième du temps fictionnel de ce tome donne à voir en coup de vent la situation d'autres personnages - en l'occurrence Anton, Leila, Saul, Terry, le Maître des couteaux et Dodji : c'est à la fois trop peu pour satisfaire l'intérêt du lecteur fidèle, et trop pour que l'album puisse être compris comme un quasi stand-alone. On comprend la nécessité pour les auteurs de faire avancer l'intrigue générale tandis que les cinq protagonistes initiaux ne sont plus ensemble - mais fallait-il pour cela introduire dans cet album, par ailleurs si réussi, des passages qu'il est difficile de ne pas percevoir comme intercalaires entre deux morceaux de bravoure de l'épopée d'Yvan ? Une fois encore, c'est bel et bien l'extrême longueur de la série, tant du point de vue fictionnel - cinq cycles d'environ cinq albums chacun, aux dernières nouvelles ! - que chronologique - le premier album est paru il y a douze ans et on n'en est pas encore tout à fait à la moitié - qui est en question. Si la chose pouvait encore trouver une justification bâtarde au cours des cycles précédents, l'éparpillement des personnages et de l'intrigue menace ici de faire caler toute la machine. On en arrive donc au paradoxe d'un album qui est à mon avis l'un des meilleurs de la série mais qui, de ce fait, en souligne sans pitié le défaut majeur... Quel dommage !

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