La Gloire d'Héra

Premier volet de la fresque antique de Le Tendre et Rossi, La Gloire d'Héra évoque un épisode cruel de la formation du futur Héraklès : je ne l'avais encore jamais lu de bout en bout.
Résumé : 
Près de Thèbes, Alcée mène une vie de famille pas tout à fait confortable : son frère jumeau Iphiklès ne cesse de l'abreuver de sarcasmes... et il rêve sans arrêt du trône mycénien sur lequel il aurait dû s'asseoir mais dont il a été privé par une perfidie de la jalouse déesse Héra. L'affection des siens ne le retient pas quand son orgueil l'amène à insulter la déesse en aidant une troupe de mycéniens passés tout près de lui : Héra lui impose un rêve inquiétant et l'amène à prendre la route pour Mycènes. Talonné par Iphiklès et son neveu Iolaos, Alcée va traverser les périls d'un pays austère où les dieux se jouent des mortels et de leur destin...
Alcée n'est autre que le futur Héraklès - que l'on connaît mieux sous son nom latin d'Hercule : un nom qui signifie "gloire d'Héra" et qui justifie le titre de cette histoire. Alcée n'est autre que le fils de Zeus, son frère Iphiklès n'est que son demi-frère - engendré la même nuit par l'époux légitime de leur mère Alcmène - et la déesse Héra le déteste puisqu'il n'est que la preuve vivante d'une des nombreuses infidélités de son propre époux... Le contexte mythologique explique donc la frustration que le personnage éprouve au début de cette histoire : exilé de force d'une ville désormais sous la coupe d'un monarque peu capable et tyrannique (Alcée s'oppose à l'esclavage alors que son rival Eurysthée le pratique volontiers), moqué par un frère pourtant sans ascendance divine, et toujours sous la menace d'un mauvais coup de son ennemie Héra, il éprouve la langueur d'un destin auquel il aspire et qu'il va finir par pourchasser.

Le destin est une force de la mythologie grecque : dans certains mythes, il semble même supérieur à la volonté des dieux. Ici, le destin est en tout cas incompréhensible à l'être humain qui ne cesse de se méprendre sur les signes et les conséquences de ses actes. En incitant Alcée à se contenter d'une vie de famille paisible, ses proches ne font que le lancer sur les routes - et donc à reproduire le funeste choix d'Achille. Alcée se révèle ici un personnage orgueilleux, méprisant même la puissante déesse Héra qui contrôle pourtant son destin : la compréhension de ce fait nécessitera le paiement d'un prix hors de toute mesure... sinon à celle de son propre hybris. Les dieux ne sont pas tendres avec les hommes quand ceux-ci proclament un peu trop fort qu'ils sont leurs propres maîtres.

Le dessin de cette histoire a beau évoquer parfois ce que l'on pourrait trouver dans une BD à destination du jeune public, il ne serait pas sage toutefois de le laisser dans n'importe quelles mains. D'abord parce que si la mythologie grecque peut être adaptée avec succès au bénéfice du jeune public, il ne faut pas oublier que ce fonds n'est pas constitué de contes pour enfants : les mythes permettaient à ceux qui les connaissaient de tracer la fine ligne entre l'humain et l'inhumain, et de connaître en fait les qualités à cultiver si l'on veut être heureux. Or la vie du héros mythique est souvent malheureuse - et c'est dans la représentation du malheur que cet album se révèle au fond si puissant, lorsque le cauchemar se dévoile où Alcée se fait Héraklès.

Car le héros, ce n'est pas l'homme le plus fort du monde et donc ce n'est pas Alcée : le héros, c'est Héraklès - et donc, l'homme changé à tout jamais par la poursuite de ce qu'il croyait être son propre destin. A travers cette histoire, Le Tendre et Rossi capturent en fait l'essence de la mythologie grecque... Bravo !

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